UNE DÉMOGRAPHIE NÉERLANDAISE TIRÉE PAR L’IMMIGRATION ÉTRANGÈRE


19 décembre 2023


Au 1er janvier 2023, les Pays-Bas comptent 17,8 millions d’habitants, dont 4,7 millions d’origine étrangère sur deux générations, soit 26,4 % de la population totale. Les immigrés y sont plus nombreux que la génération née aux Pays-Bas et cela s’est encore accentué avec la forte immigration qu’ils ont connu depuis le début du siècle. Leur nombre s’est accru de 84 % en 23 ans. Chez les personnes d’origine étrangère

nées aux Pays-Bas, c’est le nombre de ceux nés de deux parents immigrés qui a le plus augmenté (+79 %, tableau 1).













Tableau 1.- Évolution de la population d’origine étrangère de 2000 à 2023 par catégorie (immigrés ou nés aux Pays-Bas) en milliers et en %.

Définitions : un immigré est une personne née à l’étranger d’au moins un parent né à l’étranger ; un enfant d’immigré est une personne née aux Pays-Bas d’au moins un parent né à l’étranger.

Source : CBS.

Le Bureau central de statistiques (CBS) est en train de changer la classification des origines, pas tant sur le fond que sur les appellations (voir annexe en fin de texte). Néanmoins, dans la nouvelle classification officielle, appliquée à partir de 2022, les personnes nées à l’étranger de deux parents nés aux Pays-Bas passeront de la catégorie « d’origine néerlandaise » à la catégorie « d’origine étrangère ». En 2022, elles représentaient 1 % des personnes déclarées jusque-là d’origine néerlandaise. C’est l’ancienne définition qu’il faut garder pour étudier l’évolution depuis 2000.

 

Un coup d’œil sur l’évolution de la composition de la population d’origine étrangère

 

Si l’on regarde grossièrement la répartition par continent, on constate peu de changements - un peu plus d’originaires d’Europe et d’Afrique et un peu moins d’Amérique et d’Asie - et, pour tous les continents, une diversification des origines. Europe et Asie regroupent chacun environ un tiers de la population d’origine étrangère. Mais, dans le détail, on observe quelques mouvements de fond. En 2000, l’Allemagne occupait une place importante. Le nombre de personnes d’origine allemande a eu tendance à régresser et son poids a été presque réduit de moitié en 2023. Au contraire, le nombre des originaires d’Europe centrale et de l’Est qui ont obtenu progressivement la liberté de circulation dans l’UE a été multiplié par 4,1 en 23 ans. Par ailleurs, les Pays-Bas ont reçu des Ukrainiens en 2022. Le nombre de personnes d’origine ukrainienne était d’un peu plus de 100 000 personnes au 1er janvier 2023. La diaspora turque a plus augmenté par la natalité aux Pays-Bas que par l’arrivée de nouveaux immigrants et, en 2023, la génération née aux Pays-Bas est plus nombreuse que celle des immigrés. Son poids s’est quelque peu réduit. Les originaires d’Indonésie, ancienne colonie néerlandaise, sont sur le déclin, surtout par la raréfaction de nouveaux arrivants. Leur poids dans la population d’origine étrangère a été divisé par deux en 23 ans au profit d’une diversification des origines asiatiques dont témoigne l’apparition d’une population d’origine syrienne qui a été multipliée par 27 en 23 ans (graphique 1).

Graphique 1.- composition par origine de la population d’origine étrangère sur deux générations aux Pays-Bas aux 1er janvier 2000 et 2023.

Note : les continents sont dans la configuration modifiée dernièrement par CBS (voir annexe).

Source : CBS.

Une croissance démographique néerlandaise qui doit presque tout à l’immigration

 

La population s’est accrue d’1,9 million du début du siècle au 1er janvier 2023, soit un accroissement de 12,3 %. C’est à peu près la croissance démographique de la France hors Mayotte sur la même période. Mais la comparaison avec la France s’arrête là car elle ne dispose pas des données annuelles sur les origines que fournit chaque année[1] - et cela fait partie de son bilan démographique – CBS.

 

 Cet accroissement démographique, les Pays-Bas ne le doivent pas vraiment à la population d’origine néerlandaise (+27 790, soit +0,2%), mais à celle d’origine étrangère (+69,2%), et tout particulièrement aux immigrés. 98,6 % de la croissance démographique est liée à l’immigration, directement mais aussi, dans une moindre part, indirectement (tableau 2).

Sur la dernière année (du 1er janvier 2022 au 1er janvier 2023), la population d’origine néerlandaise a même perdu 35 334 habitants quand celle d’origine étrangère en gagnait 255 953.


 

Tableau 2.- Accroissement de population (en milliers) aux Pays-Bas selon l’origine, du 1er janvier 2000 au 1er janvier 2023.

Source : CBS.

Une fécondité en chute libre qui ne peut guère compter sur celle des femmes d’origine étrangère pour en rehausser le niveau un tant soit peu

 

L’indicateur conjoncturel de fécondité (ICF, s’exprimant en nombre moyen d’enfants par femme), qui était encore de 1,80 en 2010 est tombé à 1,49 enfant par femme en 2022. L’examen des taux de fécondité par groupe d’âges indique une tendance à la baisse avant 35 ans, particulièrement importante pour les femmes âgées de 25-29 ans, mais qui touche aussi les 30-34 ans.  L’âge moyen des femmes à la naissance des enfants atteint 32,3 ans en 2022. Il est difficile d’espérer que la fécondité à partir de 35 ans puisse finir par compenser complètement la dégringolade de la fécondité avant cet âge (graphique 2). D’ailleurs, les projections de CBS 2023-2070 n’envisagent une reprise de l’ICF qu’à partir de 2027 pour finir par atteindre 1,65 enfant par femme en 2070.

Graphique 2.- Évolution des taux de fécondité par groupe d’âges quinquennal de 2000 à 2022 aux Pays-Bas.

Note : le rebond de 2021 est un rattrapage de la fécondité empêchée en 2020 par le Covid19.

Source : Eurostat.

La fécondité des femmes regroupées dans des nomenclatures extensives des origines est très sensible aux effets de composition. C’est vrai des séries diffusées par CBS sur la fécondité, qui sont encore dans l’ancienne nomenclature avec, notamment, la distinction « d’origine occidentale »/« d’origine non occidentale »[2]. Dans ces deux groupes, le nombre moyen d’enfants par femme est à la baisse. Celle-ci est plus marquée chez les immigrées que chez les filles d’immigrés, notamment celles d’origine non occidentale dont la fécondité ne baisse qu’entre 2016 et 2020. En fin de période, les immigrées d’origine non occidentale et les filles d’immigrés de même origine ont une fécondité un peu supérieure à celle des femmes d’origine néerlandaise (respectivement 1,71 et 1,63 enfant par femme contre 1,52). Par contre, les femmes immigrées d’origine occidentale, dont la fécondité était déjà la plus basse en 2010 (1,50 enfant par femme), ont vu celle-ci diminuer le plus (1,10 en enfant par femme en 2022).

Ce sont les immigrées originaires d’Afrique, qui connaissent la fécondité la plus élevée, mais en baisse en fin de période : 2,37 enfants par femme, contre 2,85 en 2010. Les immigrées du Maroc ont eu autour de 2,8 enfants par femme, pratiquement sur l’ensemble de la période, avec des fluctuations. Dans la génération suivante, la fécondité est plus basse, mais reste bien supérieure à celle des femmes d’origine néerlandaise (graphique 3).



Graphique 3.- Évolution du nombre moyen d’enfants par femme (ICF) selon l’origine de la mère de 2010 à 2022.

Source : CBS.

En 2022, aux Pays-Bas, ce ne sont pas les natives au carré[3] qui ont le moins d’enfants, mais les femmes d’origine étrangère : 1,52 contre 1,44 enfant par femme et même 1,39 pour les seules immigrées. Pour ces dernières, le nombre d’enfants par femme, qui était resté un peu supérieur à celui des natives au carré de 2010 à 2019, lui est désormais inférieur sur les trois dernières années. Les Pays-Bas ne peuvent guère compter sur l’immigration étrangère pour relever leur fécondité.

Ils sont, comme d’autres pays européens inquiets du vieillissement de leur population. Le Conseil consultatif sur la migration (CCM)a conduit une étude qui envisage les différentes manières de supporter la charge du vieillissement[4]. Faire venir 3 millions d’immigrants supplémentaires d’ici 2040 pour éviter qu’elle ne s’accroisse ne lui a pas paru réaliste, d’autant que, passé le pic du vieillissement en 2040, cette immigration massive pourrait devenir une charge avec les enfants qu’auront ces nombreux immigrés. Ajoutons que, comme ces immigrés, sauf à supposer une réorientation des flux à partir de l’Afrique, ont peu d’enfants, qui eux-mêmes n’en auront pas beaucoup, le problème de leur vieillissement, à terme, se posera de manière similaire. Le CCM penche en faveur d’une immigration sélective et d’un allongement du temps de travail et/ou d’un report de l’âge de départ à la retraite.

 

 

ANNEXE : INNOVATIONS DANS LA CLASSIFICATION DES ORIGINES

 

Comme l’Allemagne, les Pays-Bas utilisaient, jusqu’en 2022, la notion de « migration background » (migrationshintergrund en allemand) que l’on peut traduire par « antécédent migratoire » pour désigner, dans leur propre définition, les personnes que l’on appellerait en français « d’origine étrangère ». Ils seront désignés désormais par leur « pays d’origine ». L’outil principal pour définir ces catégories aux Pays-Bas est le pays de naissance des individus et de leurs parents.

Dans la définition que CBS abandonne, les immigrés étaient les personnes nées à l’étranger d’au moins un parent né à l’étranger. Étaient enfants d’immigrés celles qui étaient nées aux Pays-Bas d’au moins un parent né à l’étranger. Ce qui distinguait donc ces deux générations (immigrés, enfants d’immigrés) c’était leur lieu de naissance (aux Pays-Bas ou à l’étranger). CBS les désignait par 1ère génération et 2ème génération de personnes présentant un « antécédent migratoire ». Dans cette deuxième génération, CBS distinguait ceux qui n’avaient qu’un parent né à l’étranger de ceux dont les deux parents étaient nés à l’étranger.

C’est fini et CBS a présenté un nouveau tableau aux 1er janvier 2022 et au 1er janvier 2023 dans la nomenclature qui sera désormais la sienne. Le pays d’origine y reste déterminé de la même façon pour la génération née aux Pays-Bas. Mais les immigrés incluront désormais les personnes nées à l’étranger de deux parents nés aux Pays-Bas. CBS s’aligne ainsi sur la classification suédoise des immigrés. Mais sa définition officielle des enfants d’immigrés reste alignée sur la définition française (au moins un parent).

On trouvera dans le tableau ci-dessous les correspondances entre les deux classifications pour 2022. En noir figurent les appellations et chiffres correspondant à l’ancienne classification, en rouge ceux correspondant à la nouvelle. Les totaux en vert, dans la nouvelle classification permettent de constater l’équivalence des principaux agrégats. Dans cette comparaison des classifications, une petite différence porte sur 21 personnes nées aux Pays- Bas qui étaient précédemment classées comme ayant leurs deux parents nés à l’étranger et qui figurent désormais comme n’en ayant qu’un seul.



 

                                        Correspondance entre l’ancienne classification des origines et la nouvelle pour 2022 et chiffres

                                        pour 2023 dans la nouvelle classification.

                                        Source : CBS.

 

Ajoutons que CBS abandonne les regroupements « occidentaux »/« non occidentaux » pour se limiter aux continents et aux pays de naissance et d’origine. Par ailleurs, la Turquie et un certain nombre d’autres pays (Arménie, Azerbaïdjan, Géorgie, Kazkhstan, Kirghizistan, Ouzbékistan, Tadjikistan et Turkménistan) passent de l’Europe à l’Asie.

CBS prévoit de répercuter rétrospectivement sa nouvelle classification sur les années 1996-2021. Mais il est d’ores et déjà possible de rétropoler les nouvelles classifications puisqu’on a le détail des correspondances. Ce que j’ai fait.

La nouvelle nomenclature retenue pour les données sur les naissances et la fécondité privilégie le pays de naissance de la mère sur l’origine, si bien que les quelques naissances de femmes d’origine néerlandaise nées à l’étranger de deux parents nés aux Pays-Bas (1173, soit 0,7 % du total des naissances en 2022) sont désormais attribuées aux femmes d’origine étrangère nées à l’étranger. Cette reclassification n’est pas à l’origine de différences notables, contrairement à la reconfiguration des continents Europe et Asie. Ainsi, en 2022, dans la nouvelle nomenclature, l’ICF pour les filles d’immigrés d’origine européenne aurait été de 1,36 contre 1,48 dans l’ancienne nomenclature et l’ICF de celles d’origine asiatique de 1,52 contre 1,39.

[1] Pour en savoir plus sur la conceptualisation des origines voir : « Conditions nécessaires au dénombrement des populations d’origine étrangère », 1er septembre 2022,  https://micheletribalat.fr/435108953/453126773 et « Statistiques sur les origines aux Pays-Bas », 26 avril 2019, https://micheletribalat.fr/435108953/442359428.

[2] Sont dits d’origine occidentale les originaire d’Europe (sans la Turquie), d’Amérique du Nord, d’Océanie, du Japon et d’Indonésie. L’origine européenne inclut donc certains pays qui sont classés en Asie dans la nouvelle nomenclature qui démarre en 2022 (voir Annexe).

[3] D’origine néerlandaise (nées de deux parents nés aux Pays-Bas).

[4] https://www.dutchnews.nl/2023/12/more-foreign-workers-wont-solve-greying-population-problem/ ; https://nos.nl/artikel/2501145-arbeidsmigratie-tot-2040-nodig-daarna-mogelijk-een-probleem.