Démographe
POINT SUR LES IMMIGRÉS ET LES JEUNES D’ORIGINE ÉTRANGÈRE EN 2017
Juillet 2018
Bernard Aubry et Michèle Tribalat
L’INSEE vient de mettre en ligne son fichier détail régional 2015 portant sur la synthèse 2015 des enquêtes annuelles de recensement (EAR). C’est l’occasion de faire le point sur la population immigrée et, à défaut de l’ensemble de la population d’origine étrangère sur deux générations, sur les jeunes d’origine étrangère.
Un petit rappel sur l’évolution du recensement
Jusqu’en 1999, l’Insee (et ses ancêtres avant lui) a conduit des recensements exhaustifs de l’ensemble de la population.
Puis, il est passé à un mode de collecte plus régulier à partir d’enquêtes menées tous les ans pour les communes de 10 000 habitants ou plus sur 8 % de la population et de recensements exhaustifs d’un cinquième des communes de moins de 10 000 habitants tous les ans. En 2015, c’est près de la moitié des habitants de France métropolitaine qui vivent dans des communes d’au moins 10 000 habitants. Chaque enquête annuelle, censée être représentative de la population française, porte donc sur plusieurs millions de personnes.
Mais l’Insee ne diffuse pas de résultats portant sur chacune de ces enquêtes. Il préfère faire la synthèse de cinq collectes successives pour donner la population au point moyen. Ainsi, la mise en ligne des données 2015 correspond à la synthèse des collectes des années 2013, 2014, 2015, 2016 et 2017. Les données sont ainsi lissées. Compte tenu de la taille particulièrement importante des échantillons, cette abstention peut être considérée comme une précaution excessive, surtout lorsqu’il s’agit de fournir des données à l’échelle nationale.
L’Insee pourrait fort bien diffuser, en données provisoires, les chiffres correspondant aux deux collectes qui suivent l’année correspondant au point moyen, en signalant que les données officielles seront connues deux ans plus tard.
Mais, les fichiers détail permettent de retrouver, sans difficulté, les collectes annuelles. Ce que fait Bernard Aubry tous les ans à partir des fichiers détail de 2006.
Une même enquête est donc exploitée cinq années de suite, en première position, puis en seconde, puis en point moyen, puis en quatrième position, puis en cinquième position. Une façon de connaître la population avant de disposer de toutes les années est d’estimer les années manquantes, ce qui est très facile puisque pour une même année d’enquête, c’est à peu près le même chiffre, qui est répété cinq fois. Une autre façon de faire est de considérer le résultat de chaque enquête comme suffisamment représentatif de la population de l’année et de le multiplier par cinq. Les résultats de ces deux méthodes sont à peu près les mêmes.
Évolution de la population immigrée
Dans la définition française, un immigré est une personne née à l’étranger de nationalité étrangère ou française par acquisition (ce qui exclut les individus nés Français à l’étranger).
En 2017, la France métropolitaine compterait 6,3 millions d’immigrés. C’est deux millions de plus qu’en 1999 (mais peut-être pas autant, compte tenu de la mauvaise qualité du recensement de 1999).
L’évolution sur le long terme de la proportion d’immigrés met en évidence les trois grandes vagues migratoires de notre histoire : celle particulièrement haute et concentrée des années 1920, celle des Trente Glorieuses qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale et celle plus récente qui démarre à la fin des années 1990. Ces trois vagues ont été séparées par la décrue des années 1930 jusqu’à la sortie de la guerre et une stagnation d’un quart de siècle entre 1975 et 1999. La proportion d’immigrés frôle aujourd’hui les 10 %, point le plus haut de toute l’histoire migratoire de la France depuis le début du XXème siècle (graphique ci-dessous).
Évolution de la proportion d’immigrés en France métropolitaine de 1911 à 2017.
Source : recensements et EAR, Insee.
Une manière d’évaluer le rythme d’accroissement de la présence immigrée est de calculer le taux d’accroissement moyen annuel de la proportion d’immigrés sur les périodes intercensitaires et sur deux périodes entre le dernier recensement et la dernière EAR (1999-2008 ; 2008-2017). Rien de ce que l’on a connu après la Seconde Guerre mondiale n’équivaut à la vague migratoire des années 1920 : de 1911 à 1931, la population immigrée a été multipliée par près de 2,5 et la proportion d’immigrés par 2,3. Pour donner une idée du caractère exceptionnel du rythme migratoire des années 1920, si la proportion d’immigrés avait cru depuis 1999 au rythme moyen des années 1911-1931 (5,8 %), elle serait de 20 % en 2017. Il faut ajouter qu’il est fréquent de constater une croissance rapide au démarrage d’un phénomène : passer de 1 % à 2 % est plus facile que passer de 10 % à 20 %.
Mais, la croissance de la proportion d’immigrés depuis la fin du XXème siècle rivalise tout à fait avec celle des Trente Glorieuses. La nouvelle vague migratoire du XXIème siècle s’annonce donc, pour l’instant, d’ampleur comparable à celle de l’après-guerre (graphique ci-dessous). L’emploi irréfléchi de termes tels que « forteresse » pour définir la posture de la France, a fortiori de l’Europe, vis-à-vis de l’immigration étrangère est donc pour le moins excessive.
Évolution du taux d’accroissement moyen annuel de la proportion d’immigrés sur les périodes intercensitaires et en 1999-2008 et 2008-2017 depuis la mise en place des enquêtes annuelles de recensement.
Source : Recensements et EAR, Insee.
Pays de naissance des immigrés
Au fur et à mesure que la population immigrée augmentait, ses origines se sont diversifiées. Si le nombre d’immigrés a augmenté de 24 % depuis 2005, la croissance la plus marquée a été celle des immigrés originaires de l’Afrique hors Maghreb (955 000 en 2017 ; + 60 % en 12 ans). Le nombre d’Européens arrivant de pays n’appartenant pas à l’UE28 a connu une croissance presque équivalente (307 000 en 2017 ; + 55 %). Le nombre d’immigrés d’Italie ou d’Espagne a continué de décliner, avec un frémissement à la hausse en fin de période et les originaires du Maghreb sont toujours plus nombreux (1,9 million en 2017). Le nombre d’immigrés en provenance du reste du monde s’est accru de 40 % (926 000 en 2017 ; graphique ci-dessous).
Évolution (base 1 = 2005) du nombre d’immigrés par pays ou groupe de pays de naissance de 2005 à 2017.
Source : recensements et EAR, Insee.
Ces évolutions sont dans la continuité du mouvement de diversification, déjà ancien, en dehors de l’Europe de l’immigration étrangère. Si l’on se reporte seulement au début des années 1990, encore plus de la moitié des immigrés étaient d’origine européenne (52 %). En 2017, ce n’est plus qu’à peine 36 % et encore, c’est grâce au développement de l’immigration européenne venant du dehors de l’UE28. Cet effacement de la présence européenne est dû principalement au tarissement des flux originaires d’Europe du Sud, malgré une très légère reprise, suite probablement aux effets des crises financière et de l’euro. La proportion d’immigrés originaires d’Europe du Sud a été pratiquement divisée par deux depuis 1990. Les originaires du Maghreb ont plutôt bien maintenu leur position, représentant 30 % de l’ensemble des immigrés en 2017. La part des immigrés d’Afrique (hors Maghreb) a cessé d’être marginale et dépasse, en 2017, celle des immigrés d’Algérie (graphique ci-dessous).
Il est probable que cette déseuropéanisation progressive de la population immigrée résidant en France est un peu sous-estimée. En raison des difficultés à enquêter les immigrants arrivés récemment, le sous-enregistrement habituel de la population immigrée est sans doute un peu plus élevé en 2017. C’est le cas notamment ceux qui vivent dans un habitat de fortune, ceux qui vivent illégalement en France, dont les déboutés du droit d’asile et n’ont guère intérêt à signaler leur présence.
Composition de la population immigrée par pays ou groupe de pays de naissance en 1990, 2005 et 2017 (en %).
Source : recensements et EAR, Insee.
Jeunes d’origine étrangère
Bien que la CNIL l’y ait autorisé en 2007, l’Insee ne recueille pas le pays et la nationalité de naissance des parents dans ses EAR. Il recourt, de temps en temps, à une combinaison des données de l’enquête Emploi pour les 15 ans ou plus, auprès desquels ces informations sont recueillies, et des données sur les moins de 15 ans extraites des enquêtes annuelles de recensement, comme nous le faisons depuis de nombreuses années sur les moins de 18 ans. Le dernier chiffre connu est celui de 2015 : 20,1 % de personnes d’origine étrangère en France métropolitaine[1].
Les mineurs vivant généralement au foyer de leurs parents, il est en effet possible de rapprocher leur bulletin de recensement de celui de leurs parents. C’est grâce à la constitution du fichier Saphir (Système d’analyse de la population par l’historique des recensements[2]) par Bernard Aubry à l’INSEE-Alsace, qui rassemblait et harmonisait les données de recensement, que l’étude des mineurs d’origine étrangère a été rendue possible (avec une première publication à l’été 2009 dans Commentaire, après une rebuffade de l’Insee, cf. article en ligne dans le dossier Doc Archives sur ce site).
Sont considérées comme d’origine étrangère les personnes immigrées ou nées en France d’au moins un parent immigré.
Comme précédemment, pourvu que l’on ne descende pas à un échelon géographique trop fin, les données de chaque EAR nous semblent exploitables à partir du fichier détail régional. Il n’est évidemment pas possible de remonter aussi loin dans le temps que pour la population immigrée. Mais la série sur près de 50 ans donne une idée de l’évolution de la jeunesse d’origine étrangère en France sur deux générations, son importance et sa composition. Les jeunes nés en France dominent largement. Tant qu’un flux migratoire est actif, il se traduit par des naissances en France. Celles-ci se raréfient lorsqu’il se tarit et que les immigrés vieillissent, puisque la tranche d’âges observée est 0-18 ans. La relève d’un flux par un autre ne se traduit pas par la même natalité (certains immigrés ayant une fécondité plus forte que d’autres).
La stagnation de la proportion d’immigrés dans le dernier quart du XXème siècle n’a pas conduit à une stagnation aussi longue de la proportion de jeunes d’origine étrangère, laquelle n’a eu lieu, en gros, que sur la dernière décennie. La proportion de jeunes d’origine étrangère qui n’était que de 11,5 % se retrouve proche de 17 % au cours de cette décennie. Cette évolution reflète un effet de ciseau entre la proportion de jeunes d’origine européenne en déclin et celle de jeunes d’origine non européenne qui n’a cessé d’augmenter.
La première EAR de 2004, dans le prolongement du recensement de 1999, ne semble pas la plus réussie, comme l’indique le décrochage brutal en 2005. Par la suite, la proportion de jeunes d’origine étrangère augmente pour atteindre 22,2 % en 2017. Cette croissance se produit alors que la présence de la jeunesse d’origine européenne a continué de reculer puis s’est stabilisée autour de 4,5 % dans la décennie 2010. En 2017, 17,6 % des jeunes en France métropolitaine étaient d’origine extra-européenne, contre 2,9 % seulement en 1968.
Évolution de la proportion de jeunes d’origine étrangère (Europe ; hors Europe) de 1968 à 2017 (%).
Source : recensements et EAR, Insee.
L’évolution de la composition de cette jeunesse par origine depuis 1968 reflète bien cet effacement des origines européennes. En 1968, trois quarts des moins de 18 ans d’origine étrangère étaient d’origine européenne, c’est à peine plus de 20 % en 2017. Depuis le début des années 1980, la part des jeunes d’origine maghrébine est proche de 40 %. La grande nouveauté, c’est la percée de la jeunesse d’origine africaine hors Maghreb. Quasiment inexistante en 1968, elle représente, en 2017, 20 % de la jeunesse d’origine étrangère. Remarquable aussi est la diversification des origines au-delà de l’Europe et de l’Afrique (graphique ci-dessous).
Évolution de la composition par origine de la jeunesse d’origine étrangère (0-17ans) de 1968 à 2017 (en %).
Source : recensements et EAR, Insee
Le fichier détail sur les régions n’a conservé que les départements de plus de 700 000 habitants, soit 33 départements dans le fichier détail 2015 (32 départements avant). Pour descendre à un niveau local plus fin, il faut attendre la mise en ligne des fichiers détails Canton-ville et Logements, dont le contenu est plus sommaire. Pour pallier cet inconvénient, Bernard Aubry a développé une méthode d’appariement de ces fichiers aux fichiers régionaux, ce qui permet de disposer des informations plus détaillées sur les origines à un niveau local fin.
[1] C’est l’addition du nombre d’immigrés et du nombre de personnes nées d’au moins un parent immigré publiés séparément par l’Insee et ramenés à la France métropolitaine.
[2] Un fichier détail Saphir est proposé aux utilisateurs sur le site de l’Insee, mais c’est une version très édulcorée de ce qu’était le Saphir conçu par Bernard Aubry qui ne permet pas de conduire des études sur les jeunes d’origine étrangère.
RZouaoui
10.11.2018 17:50
Merci pour votre article. Toutefois j'estime que le chiffre de "17,6 % de jeunes en France métropolitaine d’origine extra-européenne" est très sous-estimé (voir mon analyse envoyée par email).
R.Zouaoui
13.11.2018 15:21
Et une nouvelle version du tableau des moins de 18 ans d'origine non européenne en 2015 avec tous les commentaires explicatifs: https://ibb.co/eS8UkL
RZouaoui
13.11.2018 13:35
Merci pour vos commentaire.
Je poste ici le lien sur mon tableau établi à partir des données de l'INSEE 2015
https://ibb.co/mJUFQL
Patrick Stefanini
26.10.2018 17:04
Bravo pour la précision de votre analyse et pour la solidité de vos sources