L’ONS BRITANNIQUE SE TOURNE DE PLUS EN PLUS VERS LES DONNÉES ADMINISTRATIVES

 3 février 2022

Le Digital Economy Act de 2017 a permis le partage de données administratives avec l’ONS (Office for National Statistics) afin d’améliorer la production de statistiques sur la population, jusque-là conditionnée par la périodicité décennale du recensement et les mises à jour qu’en fait l’ONS entre deux recensements. L’idée est d’utiliser au maximum les données produites par des administrations pour améliorer la qualité de ces statistiques. Notamment en matière d’évaluation des migrations internationales, d’habitude estimées à partir de l’International Passenger Survey (IPS). L’ONS constate que cette enquête a été exploitée au-delà de ce pourquoi elle avait été conçue. Il s’est lancé dans une transformation radicale de ses pratiques sous le slogan “Administrative data first”. Il s’est fixé la mission de parvenir, grâce à l’apport des données administratives, à sortir en 2022 les résultats du recensement de 2021 de la meilleure qualité possible, à présenter en 2022 des modélisations statistiques visant à estimer les flux, et, en 2023, à proposer au gouvernement des recommandations visant à transformer entièrement le système de statistiques sociales.

L’ONS a décidé de s’adapter à la difficulté de procéder à des enquêtes en face à face et à l’incertitude sur la possibilité d’en conduire compte tenu de la pandémie du coronavirus. Admin-Based Population Estimation (ABPEs) et Admin-Based Migration Estimation (ABMEs) sont les nouveaux outils développés par l’ONS pour l’Angleterre-Pays de Galles. Mais ils ne sont pas encore considérés comme des sources de statistiques officielles. La suspension de l’enquête IPS le 16 mars 2020 en raison de la pandémie a conduit à l’accélération du plan de transformation de la production de données sur les migrations internationales. Si l’IPS a repris du service en janvier 2021, elle ne jouera plus le rôle central qu’elle a eu et ne sera plus qu’un outil parmi d’autres pour parvenir à une estimation la plus correcte possible des flux migratoires.

Initiatives entreprises par l’ONS dans le recours aux données administratives

Dans les premiers essais de l’ONS, la construction d’une statistique à partir des liens entre divers enregistrements administratifs s’est appuyée sur la présence simultanée de personnes dans différents fichiers administratifs. Aujourd’hui l’ONS s’est tourné vers un autre usage des fichiers administratifs consistant à repérer « des signes de vie » dans ces fichiers, à partir des interactions des individus avec les administrations, afin d’éliminer le surdénombrement constaté lors des comparaisons avec le recensement de 2011 et les estimations de population réalisées par l’ONS. Les améliorations apportées n’ont pas éliminé complètement ce problème. Y parvenir est donc le but des recherches à venir de l’ONS.

S’agissant des flux migratoires, l’ONS veut donc passer à une modélisation à partir de sources administratives, notamment par le recours au registre RAPID pour Registration and Population Interaction Database du Department for Work and Pensions (DWP). Ce registre a été créé pour enregistrer les interactions des individus à l’intérieur d’un système comprenant aussi l’Administration fiscale et douanière (HMRC) et les autorités locales qui servent l’allocation logement. RAPID contient donc un grand nombre d’informations sur les salaires, crédits, impôts et allocations diverses. En fait, RAPID comprend tous ceux qui disposent d’un numéro de sécurité sociale (NINO, pour National Insurance Number) et ceux contenus dans le Migrant Working Scan (MWS) qui recueille des informations sur tous les étrangers ayant reçu un numéro de sécurité sociale depuis 1975. Le DWP délivre un numéro de sécurité sociale aux étrangers de 16 ans ou plus qui travaillent, souhaitent travailler ou bénéficier d’une allocation.

Les travaux actuels de l’ONS pour passer de l’enquête IPS aux données administratives représentent un changement de perspective. Dans l’enquête IPS, il était demandé aux étrangers se présentant sur le sol britannique s’ils comptaient séjourner au moins 12 mois, ceci pour coller à la définition des Nations unies de l’immigrant. Au contraire, les données administratives ont un caractère rétrospectif et renseignent sur ce qui s’est réellement produit. L’ONS, conjointement avec le DWP, a créé un fichier ne comprenant que les étrangers (RAPID Migrations Dataset) dans lequel figurent les informations tirées du MWS sur l’année déclarée de première entrée, la date de délivrance du numéro de sécurité sociale, la nationalité au moment de l’enregistrement et le pays de résidence antérieure. Le DWP essaie de déterminer, à partir des interactions administratives au fil du temps, si les étrangers en question sont des migrants de long-terme (au moins un an de séjour) ou des migrants de court terme.

Limites et défauts de couverture de RAPID dans l’identification des migrations

Les travailleurs à leur compte sont enregistrés dans RAPID, mais il faut attendre, en l’absence d’interaction, l’année suivante pour mettre à jour leurs données et éviter ainsi de les compter comme des émigrants. L’absence de prestations sociales liées au revenu pendant les cinq premières années de séjour ou jusqu’à l’obtention d’un séjour permanent peut se traduire par une absence d’interaction dans RAPID, amenant à classer les étrangers abusivement dans la catégorie des migrants de court-terme. De même la fin du droit à une allocation familiale avec l’arrivée en âge de fin de droits du plus jeune enfant peut créer l’impression d’un départ, ce à quoi l’ONS a dû parer pour garder le parent et l’enfant. L’ONS veille aussi à ne pas garder les étrangers qui reçoivent leur pension de retraite à l’étranger.

Les enfants de moins de 16 ans ne sont pas, pour l’instant, inclus dans les travaux de l’ONS à partir de RAPID. Les enfants pour lesquels sont versés des allocations figurent bien dans RAPID, mais on ne connaît pas leur nationalité. L’évaluation de la mesure des flux à partir de RAPID a donc exclu les enfants de moins de 16 ans en attendant d’examiner quelles autres sources pourraient être mobilisées dans ABMEs pour les inclure.

Les étudiants aussi, lorsqu’ils ne travaillent pas ou n’ont pas suffisamment d’interactions enregistrées dans RAPID peuvent ne pas figurer parmi les immigrants de long-terme.

Un problème se pose aussi pour saisir exhaustivement les inactifs, ceux qui ne travaillent pas et risquent, en l’absence d’interaction pendant l’année, d’être comptés comme émigrants, ou ceux qui cessent de travailler sans percevoir de prestation pendant un temps suffisamment long pour ne pas être classé dans les immigrants de long-terme.

Tout entrant dans RAPID est répertorié par sa nationalité au moment de l’attribution d’un NINO. L’ONS a donc dû trouver un moyen d’éviter que ceux qui devenaient citoyens britanniques ne soient comptés comme des émigrants.

Lors des comparaisons avec l’IPS, les moins de 16 ans ont été pour l’instant exclus. Les comparaisons entre les deux sources portent donc exclusivement sur les 16 ans ou plus. Les demandeurs d’asile ne sont enregistrés dans RAPID que lorsque l’asile leur est accordé. Ils ont donc eux aussi été retirés à des fins de comparaison entre les deux sources. Par ailleurs, les double-nationaux sont enregistrés dans IPS d’après la nationalité du passeport qu’ils montrent lors de l’enquête ou, s’ils n’en ont pas, d’après la nationalité qu’ils déclarent. RAPID identifie les migrants étrangers d’après le fichier MWS dans lequel ne sont répertoriés que les étrangers. Par ailleurs certains conjoints de migrants peuvent ne pas avoir de NINO s’ils sont à la charge de leur conjoint qui travaille et n’ont pas eu à en faire usage. L’enquête IPS demande le motif de la migration qui comprend évidemment la réunion autour de membres de la famille ou d’amis. Les retraités d’autres États ne seront pas non plus dans RAPID s’ils n’ont pas besoin d’un numéro de sécurité sociale et ne reçoivent pas de prestations sociales. C’est également le cas de ceux qui tirent leurs revenus de leurs investissements.

Une production statistique décalée dans le temps

Avec RAPID, l’exploitation pour obtenir une statistique des flux migratoires sera forcément décalée par rapport à l’entrée réelle. Les migrants n’entrent pas forcément en contact avec les administrations britanniques à leur arrivée. 80 % des migrants qui se sont enregistrés pour avoir un numéro de sécurité sociale l’avaient fait dans l’année fiscale de leur arrivée telle qu’ils l’ont déclarée, 17 % dans l’année suivante et 3 % plus tard. Comme les données migratoires sont fondées sur les interactions administratives, il faut au moins 12 mois pour pouvoir constater une migration de long-terme. Il faut attendre la fin d’une année fiscale pour espérer avoir les informations sur l’année écoulée et 6 mois en plus pour espérer saisir les informations les plus tardives. La date buttoir est janvier de l’année suivante.  Ainsi en janvier 2021, l’ONS examine la restitution des données sur l’année fiscale 2019/2020[1].

Ajustements et comparaisons avec l’IPS

L’ONS a comparé les données tirées de l’IPS et celles tirées de RAPID, hors ajustements, dans l’année qui s’est achevée le 31 mars 2018 (6 avril pour RAPID). Cette comparaison montre un sous-enregistrement important pour les immigrants non européens entre 16 et 30 ans et une surestimation de leurs sorties sauf à 21-25 ans (étudiants) dans RAPID par rapport à l’IPS. Cette comparaison indique ainsi sans doute un défaut d’estimation des flux d’étudiants et une estimation encore imparfaite des départs. L’ONS procède à des ajustements pour tenir compte des défauts de couverture des données administratives mobilisées, ajustements qui seront affinés au fur et à mesure de l’introduction de nouvelles sources de données. Après ajustement, les estimations annuelles, conduites à partir de RAPID, des flux globaux d’entrées et de sorties d’étrangers non européens âgés de 16 ans ou plus sont toutes supérieures à celles estimées à partir des IPS, de mars 2012 à mars 2020, mais suivent une tendance assez proche.

 

Quelques références sur le site de l’ONS

[1] L’année fiscale va du 6 avril au 5 avril suivant.

Derniers commentaires

28.11 | 10:40

À mon avis à la Doc de l'Ined sur le campus Condorcet ou à la BNF

27.11 | 23:14

Cette période de baisse étant due à la crise de 1929 (avec des effets sur l'emploi à partir de 1932) et à la 2e guerre mondiale.

27.11 | 23:13

Selon l'INSEE, la part des immigrés et des enfants d'immigrés augmente en France depuis 1911 (2,7%) jusqu'en 2021 (10,6%).
La seule période de baisse a été de 1931 à 1946.

27.11 | 22:57

Bonsoir

Où peut-on lire l'étude sur Crulai?

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