Démographe
UNE POPULATION D’ORIGINE EXTRA-EUROPÉENNE RELATIVEMENT PLUS IMPORTANTE EN FRANCE QU’EN ALLEMAGNE
Écrit avec Bernard Aubry
19 novembre 2020
ENn France, à la sortie des Trente Glorieuses, la population immigrée[1] a augmenté très modestement, à peu près au même rythme que le reste de la population, si bien que la proportion d’immigrés est restée pratiquement la même jusqu’à la fin du XXème siècle (cf. http://www.micheletribalat.fr/447654156).
Une immigration européenne plus diversifiée mais en perte de vitesse
Mais cette constance de la proportion d’immigrés masque la transformation des origines des courants migratoires qui s’annonce alors. C’est pendant cette accalmie migratoire que la population immigrée venue d’Europe a perdu la majorité. C’est ce qu’indiquent les données portant sur la France métropolitaine, pas toujours faciles à trouver, pour laquelle on peut remonter jusqu’en 1975 (partie gauche du tableau ci-dessous).
En 1975, 67 % des immigrés sont encore nés dans un pays européen ; en 1999, ce n’est déjà plus le cas que de 45 %.
Lorsqu’un courant migratoire se tarit, le nombre d’immigrés stagne puis décroît sous l’effet des départs et des décès. C’est ce qui s’est passé pour les courants d’Europe du Sud, tout particulièrement pour ceux d’Espagne et d’Italie. Au cours des deux dernières décennies du XXème siècle, le nombre d’immigrés européens a diminué en moyenne annuelle de 1,7 % de 1975 à 1982, de près de 1,2% de 1982 à 1990 puis de 0,9 % jusqu’à la fin du siècle. Le léger regain sur les deux décennies suivantes provient principalement de l’immigration originaire de pays européens n’appartenant pas à l’UE, laquelle n’a pu rivaliser avec l’expansion des flux migratoires venus d’autres continents, notamment d’Afrique. Le nombre d’immigrés nés en Afrique s’est accru fortement tout au long de la période pour devenir le 1er continent d’origine des immigrés en France. En 2017, seulement près de 36 % des immigrés sont encore d’origine européenne alors que près de 46 % sont originaires d’Afrique. Si c’est chez les immigrés d’Afrique hors Maghreb que la croissance a été la plus rapide, ceux du Maghreb représentent encore en 2017 deux-tiers des immigrés nés en Afrique (contre quand même 91 % en 1975). Mais le nombre d’immigrés nés en Asie, plus modeste, a été multiplié par 6,6 et celui des immigrés nés en Amérique, encore plus modeste, par un peu plus de 5 en 42 ans.
Il est possible que la difficulté à admettre la faible intensité de l’immigration étrangère sur le dernier quart du XXème siècle tienne à la diversification des provenances des immigrés. En 24 ans, si le nombre total d’immigrés ne s’est accru que de 11 %, le nombre de ceux qui sont nés en dehors de l’Europe lui a augmenté de 85 %.
Les différences entre les données sur la France métropolitaine et celles sur la France entière (hors Mayotte, pour éviter la rupture de série) sont faibles. Cette dernière compte un peu plus de 100 000 immigrés en plus. L’inclusion des DOM donne juste un peu plus de poids aux immigrés d’Amérique. Ceux nés en Haïti et au Brésil sont les plus nombreux (un peu plus de 53 000 dans les DOM seuls en 2017).
Ces écarts France métropolitaine/France entière sont si faibles qu’on ne comprend pas bien ce qui a retenu l’Insee de conduire aussi une estimation pour la France métropolitaine jusqu’en 2019. L’évolution récente France entière indique une poursuite des tendances passées avec un poids de l’Europe ne dépassant guère un tiers et celui de l’Afrique s’acheminant vers la majorité.
Répartition de la population immigrée par pays de naissance en France métropolitaine (en milliers) de 1975 à 2017, avec un supplément France entière hors Mayotte de 2008 à 2019.
* En 1982 et 1990, l'ensemble des Soviétiques est attribué à l'Europe. En 1975, c’est l’Insee qui en a décidé. Les ex-Soviétiques relevant de l'Asie en 1999 n'étaient que de 7020. Cette discontinuité de classement a donc peu d'effets.
Les données France entière hors Mayotte sont déduites pour les années 2018 et 2019 des données France entière en retirant le nombre d’immigrés à Mayotte (estimé) des totaux Afrique et Afrique hors Maghreb.
Source : Recensements et EAR, Insee. Données en ligne, annuaires publiés pour 1982 à 1999 et Insee référence, 1/9/2005, https://www.insee.fr/fr/statistiques/1371777 pour 1975.
Une immigration en Allemagne beaucoup plus européenne
Lorsqu’on dresse la répartition par pays de naissance en suivant les pays d’importance retenus par Destatis, le contraste entre la France et l’Allemagne est frappant. Il faut, cette fois, se tourner vers les données France entière y compris Mayotte, seul champ géographique sur lequel l’Insee a mis en ligne une répartition par pays de naissance (liste exhaustive) de 2006 à 2017 et retenir 2017. Il nous faut surtout comparer les première et troisième colonnes du tableau ci-dessous. La première donne la répartition par pays de naissance de la population des ménages ordinaires en Allemagne et la troisième ce que serait la répartition en France si la population était aussi nombreuse que celle logée en ménage ordinaire en Allemagne, tout en conservant la même distribution par pays de naissance.
En 2017, l’Allemagne abrite relativement 2,8 fois plus d’immigrés européens que la France et ces derniers ne ressemblent guère à ceux de la France. Certes, parmi ces Européens, certains sont des anciens Allemands ayant rejoint l’Allemagne. Mais cela ne suffit pas à expliquer l’avantage allemand sur la France en matière d’attraction migratoire à l’est du continent. En Allemagne, un tiers de ces immigrés européens proviennent de pays n’appartenant pas à l’UE, contre 14 % en France. 62 % des immigrés européens d’Allemagne sont nés en Pologne, Russie, Roumanie, Bosnie Herzégovine, Ukraine, Croatie, Bulgarie ou Serbie, contre 14 % en France. Et si, en Allemagne, 22 % des immigrés européens sont nés en Pologne, ce n’est le cas que de 4 % en France où les immigrés européens sont encore majoritairement originaires d’Europe du Sud (Espagne, Italie, Portugal), courants migratoires sur le déclin.
Cet avantage attractif de l’Allemagne relativement à la France est perdu dès que l’on s’intéresse aux immigrés d’origine extra-européenne. À population comparable, l’Allemagne semble en héberger un peu plus, mais c’est sans compter le biais introduit par les « Allemands ethniques » du Kazakhstan. Sans les immigrés nés au Kazakhstan, la France compte relativement un peu plus d’immigrés extra-européens.
Mais, là encore, les origines de ces immigrés n’ont, en Allemagne, rien à voir avec celles relevées en France. L’Afrique domine en France, l’Asie en Allemagne. Qu’il s’agisse d’immigrés d’Afrique du Nord ou d’Afrique subsaharienne, la France en compte relativement un peu plus de 6 fois plus que l’Allemagne. Mais la France abrite relativement quatre fois moins d’immigrés nés en Asie que l’Allemagne. C’est le cas des immigrés d’origine turque. Mais l’écart est encore bien plus profond si l’on s’intéresse aux immigrés venus pendant la crise de l’asile autour de 2015 : 17 fois plus d’immigrés nés en Syrie en Allemagne qu’en France en 2017, 13,5 fois plus de ceux nés en Iraq et 9 fois plus de ceux nés en Afghanistan.
Malgré les différences de définition, tentons une comparaison des populations d’origine étrangère en 2019, en retenant les pays d’origine pour lesquels on dispose d’informations à la fois en Allemagne et en France. On l’a vu, en Allemagne, les immigrés comprennent, en plus de ce que compte la France, les Spätaussiedler. Mais la population d’origine étrangère née en Allemagne est aussi plus étendue que celle de la France qui s’arrête aux personnes nées en France d’au moins un parent immigré. En Allemagne, on compte aussi tous ceux qui sont nés en Allemagne de deux parents nés en Allemagne qui ne sont pas des Allemands de naissance, y compris donc les enfants d’étrangers nés en Allemagne. Quelques différences de champ interviennent aussi (voir les précisions méthodologiques en fin de texte). Il faut donc regarder avec prudence le tableau ci-dessous. Notamment l’écart entre les proportions de population d’origine étrangère dans les deux pays (26,0 % en Allemagne, 21,4 % en France). Cet écart entre l’Allemagne qui compte plus large et la France est moins grand qu’il n’y paraît.
Avec ou sans les originaires du Kazakhstan, la population d’origine étrangère non européenne est relativement plus importante en France qu’en Allemagne, malgré l’afflux énorme de migrants asiatiques accueillis par l’Allemagne pendant la crise migratoire. La « spécialisation » africaine de la France par rappport à l’Allemagne est frappante, avec relativement un peu plus de 14 fois plus de personnes originaires d’Afrique du Nord (tableau ci-dessous).
La part des natifs dans la population d’origine étrangère dépend du caractère plus ou moins durable du séjour des immigrés, de leur fécondité mais, peut-être surtout, de l’ancienneté du courant migratoire. Malgré une définition plus extensive, seulement 36 % des personnes d’origine étrangère en Allemagne y sont nées, contre 54 % en France. C’est dans le courant turc, relativement ancien, que la proportion de natifs est la plus forte (57 %). En France, c’est parmi les personnes d’origine italienne, se rattachant à un courant très ancien (75 %). Par contre, en France comme en Allemagne, les natifs d’origine chinoise sont très minoritaires (autour de 24 %), indiquant probablement une préférence pour une installation provisoire. La faible part des personnes nées en France parmi celles d’origine britannique (24 %) indique là-encore un séjour plutôt provisoire ou/et une immigration de retraités. Les arrivées liées à la crise de l’asile sont encore trop récentes pour avoir donné une population née sur place importante. En Allemagne, 28 % des personnes originaires d’un autre pays asiatique que la Chine ou la Turquie y sont nées. Ainsi, sur les 843 000 personnes d’origine syrienne vivant en Allemagne en 2019, seulement 14 % y sont nées.
Si l’Allemagne est décrite comme un pays d’immigration bien plus important que la France, c’est en raison de la part qu’y a prise l’immigration européenne, notamment celle des étrangers de pays anciennement sous domination soviétique. Même après la crise migratoire autour de 2015, la France abrite relativement plus de personnes d’origine extra-européenne que l’Allemagne.
Composition par origine des populations d’origine étrangère en France et en Allemagne en 2019 (en milliers).
* Population des ménages ordinaires pour l’Allemagne. Pour la France, les immigrés sont dénombrés dans tous types de ménages mais les nés en France dans les ménages ordinaires seulement.
** le nombre d’immigrés nés en Egypte et en Libye en France a été estimé d’après l’évolution sur cinq ans jusqu’en 2017, dernière année connue. Le nombre de nés en France, en fixant à 40 % la proportion de nés en France dans la population d’origine égyptienne ou libyenne. En 2017, l’Insee comptait 29 300 immigrés nés en Egypte et 4 300 nés en Libye.
Source : Mikrozensus, Destatis, EAR, Insee.
Précisions méthodologiques
En France, l’absence de déclinaison systématique de statistiques sur les divers champs géographiques désignant la France (France métropolitaine, France entière sans Mayotte et France entière avec Mayotte depuis 2014) ne facilite pas l’établissement de séries cohérentes. Il faudrait toujours disposer de tableaux France métropolitaine pour espérer construire des séries sur le temps long. Pour les années plus récentes, la distinction « avec » ou « sans » Mayotte est aussi indispensable, mais souvent indisponible. C’est à l’utilisateur de conduire les estimations pour obtenir un chiffre « sans Mayotte » afin, notamment, d’ajouter le nombre d’immigrés tirés des enquêtes annuelles de recensement (EAR) et celui des personnes nées en France d’au moins un parent immigré estimé par l’Insee à partir des enquêtes Emploi pour les 15 ans ou plus et à partir des EAR pour les moins de 15 ans. Mais, même en ayant rendu identique le champ géographique se pose un autre problème. Les données sur les immigrés portent sur l’ensemble des ménages alors que l’enquête Emploi est réalisée auprès des ménages ordinaires (à l’exclusion des ménages collectifs : foyers de travailleurs, d’étudiants, maisons de retraites…). La proportion de personnes d’origine étrangère s’en trouve ainsi très légèrement sous-estimée.
En Allemagne, depuis le Mikrozensus de 2005, Destatis a entrepris d’estimer sa population d’origine étrangère dans une définition bien particulière (http://www.micheletribalat.fr/444201935), rompant ainsi avec une pratique privilégiant les données sur la nationalité. Depuis 2017, les Mikrozensus sont réalisés auprès des seuls ménages ordinaires.
[1] Rappelons que la population immigrée comprend les personnes nées à l’étranger et de nationalité étrangère à la naissance. Sont donc exclues les personnes nées en France d’au moins un parent immigré.
Derniers commentaires
28.11 | 10:40
À mon avis à la Doc de l'Ined sur le campus Condorcet ou à la BNF
27.11 | 23:14
Cette période de baisse étant due à la crise de 1929 (avec des effets sur l'emploi à partir de 1932) et à la 2e guerre mondiale.
27.11 | 23:13
Selon l'INSEE, la part des immigrés et des enfants d'immigrés augmente en France depuis 1911 (2,7%) jusqu'en 2021 (10,6%).
La seule période de baisse a été de 1931 à 1946.
27.11 | 22:57
Bonsoir
Où peut-on lire l'étude sur Crulai?