EXISTE-IL DES BIAIS POLICIERS LORS DES CONTRÔLES DE CONDUCTEURS DE VÉHICULES MOTORISÉS AUX ETATS-UNIS ?

L’expérience du « veil of darkness » dans le Massachusetts

 

14 février 2022

 

Zac Kriegman, licencié par Reuters en 2020 pour avoir révélé des études invalidant la thèse d’une police tuant plus volontiers des Noirs que des Blancs (http://www.micheletribalat.fr/451660138), vient de mettre en ligne un texte rendant compte d’une nouvelle étude testant, là-encore, l’existence d’un biais racial des policiers, cette fois, lorsqu’ils demandent à un conducteur de s’arrêter. Phénomène connu sous l’appellation « driving while Black ». En 2007, Thomas Sowell avait publié une tribune dans DeseretNews intitulée : Little evidence to support the danger of  driving while Black’.

Dispositions prises par le Massachusetts pour contrôler les interventions des policiers auprès des conducteurs de véhicules motorisés

En 2019, le Parlement du Massachusetts a voté une loi interdisant aux conducteurs de véhicules motorisés de conduire, téléphone en main. Cette loi est entrée en vigueur le 23 février 2020. Elle oblige aussi les forces de l’ordre à collecter un certain nombre d’informations lors de leurs interventions auprès de conducteurs se concluant par une mise en garde, une contravention ou une arrestation : genre[1], âge, race/ethnicité[2] du conducteur, date et heure de l'intervention, commune dans laquelle l’infraction a été constatée, s’il y a eu fouille et si l’intervention s’est conclue par une mise en garde, une contravention ou une arrestation. Ces informations sont rassemblées dans le Register of Motor Vehicles qui les transmet à l’Executive Office of Public Safety and Security (EOPSS) du Massachusetts. La loi oblige l’EOPSS à passer un contrat avec une université afin de produire, tous les ans, un rapport d’analyse de ces données et à le mettre en ligne ainsi que les tableaux de données. L’EOPSS a 30 jours, après réception du rapport, pour organiser trois consultations publiques dans différentes régions du Massachusetts. Si le rapport fait apparaître un profilage racial ou genré dans un département des forces de l’ordre, ce dernier sera forcé de recueillir, pendant un an, les données de toute intervention policière auprès de conducteurs, y compris celles qui ne se concluent pas par une mise en garde, une contravention ou une arrestation. Les policiers seront alors également soumis à une formation sur les biais implicites.

La première étude a été réalisée par Salem State University et Worcester State University et publiée le 7 février 2022. Elle a porté sur les dix mois allant du 23 février au 31 décembre 2020 et a analysé 425 702 interventions de policiers appartenant à 350 départements de forces de l’ordre du Massachusetts.

Résultats de l'expérience du« veil of darkness[3] »

L’étude a eu recours à la méthode dite du « veil of darkness » qui sélectionne les moments de la journée pendant lesquels il fait jour à certaines périodes de l’année et nuit à d’autres. Cette méthode permet de comparer les résultats des interventions policières auprès des conducteurs au même moment de la journée selon que le policier peut, ou non, se faire une idée de la race/ethnicité du conducteur ou de son genre.

Contre toute attente, la méthode du « veil of darkness » a mis en évidence un biais contraire à celui attendu. Dans l'État du Massachusetts, les conducteurs noirs, sont, en proportion, par rapport à leur poids dans la population, plus souvent stoppés que les conducteurs blancs. Est-ce le résultat d'une discrimination ? Ce serait le cas, si le taux d'infraction au code de la route était le même dans les deux groupes, ce qui n'est pas forcément vérifié. Pour contrôler l'effet du taux d'infraction, l'étude utilise la méthode du "veil of darkness". Si un biais en défaveur des Noirs existe, la surexposition de ces derniers aux contrôles policiers devrait être plus forte de jour que de nuit. Or c'est le contraire qui est vrai : le rapport des risques d'être contrôlé, pour un conducteur noir relativement à un conducteur blanc, est plus élevé de nuit que de jour. Le biais est donc en défaveur des conducteurs blancs. Malgré cela, le rapport conclut quand même à une absence de biais racial de la police, constat que Zac Kriegman qualifie, fort justement d’étrange mais révélateur.

L’étude en question a aussi révélé que, une fois la voiture stoppée, les conducteurs noirs et hispaniques se voyaient plus souvent délivrer une contravention et étaient plus souvent arrêtés que les Blancs. En cas de fouille, plutôt rare, ceux qui n’étaient pas Blancs y étaient plus souvent soumis. Mais les auteurs mettaient en garde le lecteur contre une interprétation hâtive de ces différences qui attribuerait à la race/ethnicité du conducteur la cause de la fouille, de la contravention ou de l’arrestation. En effet, rien ne dit que le taux d’infraction aux règles de conduite est le même en moyenne pour tous les groupes ethnoraciaux. Au contraire, il est fort probable qu’il varie avec la catégorie socioéconomique des conducteurs et donc, en même temps, avec la race/ethnicité. Nous ne savons pas, d’après les données disponibles, le taux d’interventions policières se fondant sur une bonne raison pour procéder à une fouille ou délivrer une contravention. On pourrait penser que le moyen de s’en faire une idée pourrait être, par exemple, de connaître le taux de réussite de ces fouilles. Il se trouve qu’une étude de Standford[4], qui a analysé les donnés collectées dans certaines villes des différents États au cours des années 2010, a conclu à une absence de différence dans le taux de réussite des fouilles des Noirs et des Blancs, mais à un taux de réussite inférieur s’agissant des Asiatiques. De là à conclure que les policiers souffriraient d’un biais racial à l’égard des Asiatiques serait précipité. Peut-être que ces Asiatiques affichent plus souvent un comportement qui amène les policiers à pratiquer une fouille, sans que les Asiatiques soient en infraction. Les disparités constatées ne suffisent pas à trancher sur l’existence ou l’absence de discrimination. Pourtant, le Boston Globe, dans l’écho qu’il a donné au rapport sur les données du Massachusetts ne s’est pas embarrassé de ces subtilités, comme le retrace Zac Kriegman sur son Blog. 

Une interprétation fallacieuse du Boston Globe…

Curieusement, le Boston Globe du 8 février 2022 a titré sur la persistance tenace de biais raciaux dans la police et assuré à ses lecteurs que l’étude n’était qu’un document de plus sur les injustices du système judiciaire. Il insistait sur les différences des taux de fouilles ou d’arrestations en donnant la parole à des experts et des « community leaders » qui tous avaient vu, dans cette enquête, une preuve des biais raciaux anti-noirs des policiers. Pourtant, les résultats de l'étude auraient dû dissuader le Boston Globe d’en tirer des conclusions hâtives sur la persistance d’un biais racial policier au détriment des conducteurs noirs. En effet, les auteurs de l’étude avaient insisté sur le fait que les différences constatées sur le taux de fouilles « ne signifient pas que la race/ethnicité du conducteur arrêté est la CAUSE de la fouille » [les majuscules figurent dans le rapport]. C’est donc intentionnellement que le Boston Globe en a tiré des conclusions en conformité avec l’esprit du temps.

…qui met de l’huile sur le feu des relations entre les Noirs et la police, au détriment de ceux-là

Cette déformation de la réalité par le Boston Globe vient à un moment où des militants appellent à l’abolition de la police, laquelle chercherait à exterminer les Noirs, et où le ressentiment des Noirs contre la police est très fort. Elle ne peut qu’envenimer les rapports entre les communautés noires et les policiers et décourager ces derniers d’intervenir. Comme l’écrit fort justement Zac Kriegman, la dénonciation fausse de discriminations fait souvent plus de mal aux groupes défavorisés censés être discriminés qu’à ceux qui sont accusés. S’agissant de la conduite automobile, les comportements dangereux au volant pénalisent les conducteurs mais aussi les communautés qui habitent les quartiers dans lesquels ils sévissent. Si les policiers s’abstiennent de sanctionner les chauffards noirs, ces derniers feront courir des risques disproportionnés aux habitants des quartiers dans lesquels ils roulent, plus souvent noirs que blancs.

 

Références : 

https://kriegman.substack.com/p/driving-while-black?token=eyJ1c2VyX2lkIjozNDY3NjE5OCwicG9zdF9pZCI6NDg1MzE2MTgsIl8iOiJqbStQeSIsImlhdCI6MTY0NDU5MjkxMiwiZXhwIjoxNjQ0NTk2NTEyLCJpc3MiOiJwdWItNjAwMjg5Iiwic3ViIjoicG9zdC1yZWFjdGlvbiJ9.s6o6GBronE75uj3W71gp6JxM7Z-C6I8-4MzPK8zlvTY

https://www.deseret.com/2007/11/1/20050686/thomas-sowell-little-evidence-to-support-the-dangers-of-driving-while-black 

https://www.mass.gov/doc/2020-massachusetts-uniform-citation-data-analysis-report/download

https://www.mass.gov/doc/2020-massachusetts-uniform-citation-data-analysis-report-executive-summary/download

https://www.bostonglobe.com/2022/02/08/metro/some-report-mass-traffic-stops-shows-stubborn-racial-biases-persists-policing/ 

https://openpolicing.stanford.edu/findings/



[1] Homme, femme, non binaire.

[2] Telle qu’appréciée par le policier. Les catégories retenues sont : African, American, Asian, Asian Pacific, African American, Cape Verdean, Hispanic, Middle Eastern, American Indian, Pacific Islander, White, Unknown.

[3] Qu’on pourrait traduire par «voile de l’obscurité», ce qui ne nous avance guère.

[4] E. Pierson, C. Simoiu, J. Overgoor, S. Corbett-Davies, D. Jenson, A. Shoemaker, V. Ramachandran, P. Barghouty, C. Phillips, R. Shroff, and S. Goel. “A large-scale analysis of racial disparities in police stops across the United States”. Nature Human Behaviour, Vol. 4, 2020.

Derniers commentaires

28.11 | 10:40

À mon avis à la Doc de l'Ined sur le campus Condorcet ou à la BNF

27.11 | 23:14

Cette période de baisse étant due à la crise de 1929 (avec des effets sur l'emploi à partir de 1932) et à la 2e guerre mondiale.

27.11 | 23:13

Selon l'INSEE, la part des immigrés et des enfants d'immigrés augmente en France depuis 1911 (2,7%) jusqu'en 2021 (10,6%).
La seule période de baisse a été de 1931 à 1946.

27.11 | 22:57

Bonsoir

Où peut-on lire l'étude sur Crulai?

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