Démographe
L’IMMIGRATION VUE À TRAVERS L’ENREGISTREMENT DES 1ERS TITRES DE SÉJOUR
BILAN DÉFINITIF POUR 2018 ET PROVISOIRE POUR 2019
30 janvier 2020
En France deux sources permettent d’avoir une idée du flux d’immigration étrangère : Le fichier AGDREF (Application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France) du ministère de l’Intérieur et les enquêtes annuelles de recensement de l’Insee (http://www.micheletribalat.fr/443520654). Dans ce qui suit, ce sont les données tirées de la première source qui seront envisagées à la faveur de leur mise en ligne le 21 janvier. Cette mise en ligne a lieu deux fois par an. En janvier, le ministère publie les données définitives de l’année n-2, une estimation du flux pour l’année n-1 et différentes données sur les demandes d’asile, l’éloignement et l’acquisition de nationalité. En juin, il publie les données provisoires pour l’année n-1. On a donc aujourd’hui le nombre de 1ers titres de séjour délivrés en 2018 (chiffre définitif) et une estimation pour 2019.
En 2018, le nombre de 1ers titres de séjours délivrés à des ressortissants de pays tiers[1] en métropole a été de 258 929, proche du chiffre provisoire de juin (255 956). Leur nombre en 2019 est estimé à 276 576. L’immigration continue donc d’augmenter vigoureusement, comme c’est le cas depuis 2015 (+ 27 % en quatre ans ; + 61 % en douze ans). En près de 20 ans, elle a un peu plus que doublé (graphique ci-dessous), et encore dans un périmètre définissant les pays tiers qui, en 2000, était plus large que celui d’aujourd’hui.
Les différents usages institutionnels des statistiques du ministère de l’Intérieur
Les statistiques produites par le département des statistiques, des études et de la documentation (DSED) du ministère de l’Intérieur sont aussi utilisées par Eurostat et par l’Ined. Dans le 1er cas, le DSED doit fournir à Eurostat les données demandées. Dans le second cas, l’Ined produit lui-même ses données à partir de l’exploitation d’une extraction du fichier AGDREF du ministère de l’Intérieur daté de juillet n+2. Ainsi, à partir du fichier transmis en juillet 2019, l’Ined a élaboré des données pour l’année 2017[2].
Les données mises en ligne par le ministère de l’Intérieur portent sur tous les premiers titres de séjour quelle qu’en soit la durée, si l’on excepte, depuis 3 ans, la mise en ligne des données communiquées à Eurostat sur le chiffre définitif de l’année n-2 (2018 en janvier 2020).
La définition de l’immigrant imposée par le règlement européen 862/2007 fixe la durée de séjour minimale à un an, définition à laquelle se réfère l’Ined, mais pas le ministère de l’Intérieur dans les tableaux qu’il met en ligne. Mais Eurostat impose aux États de lui fournir les données sur les titres de séjour suivant la durée du titre (3 à 5 mois, 6 à 11 mois, 12 mois ou plus). Celles que lui transmet le DSED comprennent donc ces informations. Mais elles portent sur la France entière alors que celles sur lesquelles le ministère communique en janvier et en juin portent sur la France métropolitaine. On trouve, quand même, dans un tableau croisé dynamique en ligne, des données sur les COM et les DOM. Le problème est qu’à champ constant on ne retombe pas tout à fait sur les chiffres communiqués à Eurostat avant 2013. À partir de 2013, Mayotte est comptée dans les DOM[3].
L’Ined retient à peu près la durée d’un an (364 jours) en comptant le nombre de jours entre le début et la fin de validité du titre et non d’après la durée de validité marquée sur le titre lui-même comme le fait Eurostat, pour la France entière. Il y ajoute les mineurs étrangers nés à l’étranger à qui a été délivré pour la 1ère fois un livret de circulation[4], dont le nombre a beaucoup augmenté depuis 2013 (près de 29 000 livrets de circulation délivrés en 2017 contre un peu plus de 18 000 en 2013). Ce nombre dépend du moment où le besoin de disposer d’un document de circulation se fait sentir, si tel est le cas.
Dans le graphique ci-dessous, l’écart entre la courbe bleu clair et la courbe vert clair donne une idée de ce qui tient à la manière de compter la durée d’un an à l’Ined. L’écart entre la courbe vert foncé et la courbe rouge mesure ce qui se rapporte aux DOM-COM. Après le palier (ou légère baisse) de 2009-2012, les cinq séries indiquent une augmentation importante des flux mesurés à partir de la délivrance de titres de séjour : + environ 30 % de 2012 à 2017.
Évolution du nombre de 1ers titres de séjour d’après les statistiques produites par le DSED du ministère de l’Intérieur, la définition et le périmètre géographique retenus (France métropolitaine ou France entière), depuis 2009. Donnée provisoire pour 2019.
Sources : ministère de l’Intérieur (21 janvier 2020), Eurostat et Ined.
Flux dans les DOM-COM
Les flux à destination de Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon sont peu importants (200 à 400 par an au total) et, dans les DOM, depuis la départementalisation de Mayotte, l’évolution du flux s’explique surtout par les migrations vers Mayotte et la Guyane (graphique ci-dessous). Lorsque Mayotte était une COM, le nombre de ces premiers titres délivrés à des étrangers en provenance des pays tiers était inférieur à 2000 pour les trois années renseignées.
Au total, à Mayotte, en 2015, le flux représentait 2,6 % de la population, l’équivalent de 1,7 million en métropole. En 2018, il était retombé à 1,5 %, soit l’équivalent d’un peu moins d’un million en métropole. En Guyane, l’intensité migratoire est moins élevée (1,1 % en 2015). Cela représente quand même l’équivalent de près de 700 000 entrées en un an en métropole.
À Mayotte, les flux sont essentiellement familiaux (92 % en 2015, 90 % en 2018). C’est un peu moins vrai en Guyane où ils sont un peu plus diversifiés. Le motif familial y regroupe quand même 73 % des flux en 2015 et encore 67 % en 2018. Il s’agit principalement d’étrangers membres de famille de Français et d’étrangers dont on régularise la situation pour liens personnels et familiaux, à Mayotte comme en Guyane.
Évolution du nombre de 1ers titres de séjour délivrés de 2010 à 2018 dans les DOM avec ou sans Mayotte et la Guyane (Mayotte est compté comme un DOM à partir de 2013). Source : Tableau dynamique, DSED, 20 janvier 2020.
France métropolitaine
Si, à périmètre constant, le flux familial est voisin de ce qu’il était en 2007 (estimé à près de 89 000 en 2019), son poids s’est considérablement réduit (32 % en 2019, contre près de 51 % en 2007). C’est le nombre de titres pour motif économique qui a le plus augmenté, notamment depuis 2015, puisqu’il a été estimé à près de 39 000 en 2019, contre seulement 11 751 en 2007. Les titres pour motif humanitaire se sont, sans surprise, aussi accrus (un peu plus de 38 000 en 2019, contre 15 445 en 2007). Le flux des étudiants, dont le nombre a été estimé à plus de 91 000 en 2019, un quasi-doublement depuis 2007, pèse autant aujourd’hui que le flux familial.
Titres de séjour « étudiant »
L’augmentation du nombre d’entrées en France pour y faire des études depuis 2012 est due, pour l’essentiel, aux étrangers recevant un titre de séjour d’au moins un an, comme l’indiquent les données transmises à Eurostat (graphique ci-dessous).
[Ces données comprennent les DOM et les COM, mais, comme on la vu, l’essentiel des flux sont familiaux (avec un maximum de 319 titres étudiants en 2018, soit 0,4 ‰ du total, cet effectif est considéré comme négligeable dans ce qui suit).]
Les étrangers disposant d’un titre de séjour pour étudier pendant au moins un an sont beaucoup plus nombreux : autour de 80 % du total[5]. C’est particulièrement vrai des Africains (neuf sur dix environ). Aussi la répartition par nationalité de ces migrants-étudiants varie-t-elle beaucoup en fonction de la durée du titre de séjour. Si les Africains dominent largement parmi les titres d’au moins un an (56,8 % des titres « étudiants » délivrés en 2018), tel n’est pas le cas pour les titres plus courts (25,4 % en 2018). Ce sont surtout les Asiatiques et dans une moindre mesure les Américains qui viennent en France sous couvert d’un titre « étudiant » de courte durée.
C’est le nombre de Marocains destinataires d’un titre de séjour « étudiant » d’au moins un an qui est le plus important (plus de 10 000 en 2018). Il a beaucoup augmenté sur la période (multiplié par 2,3 depuis 2009).
On peut se demander si la forte poussée du nombre de titres d’au moins un an portant la mention « étudiant » ne correspond pas à ces mineurs non accompagnés à qui l’on délivre un titre de séjour étudiant lorsqu’ils suivent une formation à leur majorité. En effet, la croissance du flux d’étudiants avec un titre de séjour d’au moins un an est presque entièrement due aux Africains (tableau ci-dessous).
Le second flux d’étudiants, par ordre d’importance, est celui de Chinois. Bon an mal an, c’est à peu près 10 000 Chinois qui sont reçus en France chaque année pour y étudier (toutes durées de titres confondues).
Évolution de la composition par nationalité des étrangers à qui l’on a délivré un 1er titre de séjour mention « étudiant » selon la durée du titre, de 2009 à 2018. France entière. Source : Eurostat.
Données régionales (2010-2018)
En métropole, en 2018, l’Ile-de-France a attiré 40,3 % du flux en provenance des pays tiers, contre 42,9 % au début de la décennie. La redistribution est lente parce qu’elle porte essentiellement sur la localisation des demandeurs d’asile. Le nombre de titres de séjour délivrés pour motif humanitaire, s’il augmente, ne pèse pas suffisamment pour produire une redistribution territoriale massive. Deux-tiers d’entre eux le sont en dehors de l’Ile-de-France, contre 48 % en 2010. La Corse et les Hauts-de-France échappent à cette redistribution. Par ailleurs, si l’on constate une modeste redistribution de l’Ile-de-France vers les autres régions pour les flux d’étudiants ou les flux familiaux, la croissance de l’immigration économique a plus profité à l’Ile-de-France qui accueillait, en 2018, 55,5 % du flux, contre près de 50 % au début de la décennie.
Les demandeurs d’asile
Au vu des imperfections et de l’incomplétude réelles des données couvertes par la statistique des titres de séjours, certains commentateurs sont tentés d’y ajouter d’autres données, notamment celles sur les demandeurs d’asile. Leur discours commence alors par « et si on y ajoute…. ». Eh bien, justement, il ne faut rien y ajouter sous peine de doubles-comptes, soit dans l’année, soit dans les années qui suivront. En effet, les demandeurs d’asile figurent dans les statistiques sur les titres de séjour lorsqu’ils obtiennent le statut de réfugié ou une protection subsidiaire ou, plus tard, lorsque leur situation est régularisée, si elle l’est, souvent pour raison familiale[6]. Ce qui n’interdit pas d’examiner, séparément, l’évolution du nombre de demandes d’asile.
Comme l’exige la Commission européenne, la France a réformé son système statistique pour prendre en compte les cas qui ne sont pas du ressort de l’Ofpra et devrait finir par se conformer aux exigences d’Eurostat.
Depuis quatre ans, la statistique élaborée par le ministère traite les étrangers qu’on appelle les « dublinés »[7] qui sont du ressort du ministère de l’Intérieur. Par ailleurs, lorsque la procédure de réadmission n’aboutit pas, elle est éteinte et des demandes sont alors redirigées vers l’Ofpra. Elles correspondent alors à des étrangers placés en procédure Dublin dans les années précédentes. C’est pourquoi, à partir du moment où l’on compte aussi les « dublinés », il semble raisonnable de ne pas les additionner aux demandes de l’année, afin d’éviter les doubles-comptes. Des données sur ces procédures de réadmission éteintes sont publiées sur le site du ministère de l’Intérieur depuis deux ans (Tableau ci-dessous). Les informations statistiques publiées par le DSED portent, cette fois, sur la France entière.
Le nombre de 1ères demandes d’asile traitées par l’Ofpra ou par le ministère de l’Intérieur dans le cadre de la procédure Dublin n’a cessé d’augmenter ces quatre dernières années (+ 47 %). Par la procédure Dublin en 2017, puis par les demandes d’asile d’adultes en 2018 et enfin par les biais des mineurs en 2019. Jusqu’à l’année 2018, l’information sur les mineurs était formulée ainsi : « Mineurs accompagnants rattachés à une demande ». Il s’agissait donc des enfants rattachés à la demande de leur parent. En 2019, la précision « mineurs accompagnants » n’apparaît que pour les procédures de réadmission éteintes dont le nombre semble stable. Il est donc possible que la hausse de 72 % en 2019 du nombre de mineurs traités par l’Ofpra soit due, au moins en partie, aux mineurs non accompagnés dont il traiterait la demande d’asile en propre.
Les données transmises à Eurostat semblent se limiter aux demandes du ressort de l’Ofpra, avec les procédures éteintes probablement à partir de 2017, sans que les chiffres correspondent parfaitement à ceux diffusées en France. Le 20 janvier 2020, CheckNews.fr de Libération, dans un article intitulé « Demandes d’asile : Eurostat épingle la France pour avoir tronqué des statistiques »[8], évoquait les remontrances d’Eurostat à la France, laquelle s’est engagée à rectifier « le tir » en cours d’année. Pourtant, comme on le voit dans le tableau ci-dessus, la France avait la possibilité d’inclure les « dublinés » dans les données communiquées à Eurostat dès 2016.
[1] Seuls les étrangers originaires des pays tiers à l’UE, à l’Espace économique européen (EEE) et à la Suisse, les États membres soumis à des dispositions transitoires (la Roumanie et la Bulgarie y sont encore soumis) sont obligés de détenir un titre de séjour. Les ressortissants de pays membre qui le souhaitent peuvent en obtenir un. Seuls les ressortissants des pays tiers sont comptés ici.
[3] Pourtant, de 2010 à 2012 figurent un nombre de titres pour motif humanitaire pour Mayotte (respectivement 259, 331 et 259), mais qui ne sont pas intégrées au total ! Comprenne qui pourra.
[4] Le ministère délivre un document de circulation à l'étranger mineur (d’une durée de validité de cinq ans et renouvelable) dont les parents veulent faciliter les déplacements.
[5] Les titres de durée plus faible correspondent plus vraisemblablement à des stages.
[7] Sont mis en procédure Dublin les étrangers qui sont passés par un autre pays de l’UE ou qui ont déjà déposé une demande d’asile dans un autre pays de l’UE.