Démographe
AGAINST THE GREAT RESET
Eighteen Theses Contra the New order
Edited by Michael Walsh, Bombardier Books, October 18 2022, 480 pp.
(2ème partie)
Qu’en est-il de l’individu dans le projet de grande réinitialisation ?
Dans ce chapitre, les trois auteurs s’intéressent au rétrécissement de la liberté individuelle que laisse craindre la grande réinitialisation promise dans le monde d’après le Covid-19.
Une utopie féministe toujours inachevée qui fait fi de la liberté, de la vérité et du simple bon sens
Janice Fiamengo est professeur à la retraite de l’Université d’Ottawa. Elle examine le plaidoyer féministe tenu pendant l’épidémie présentant les femmes comme des victimes ou des héroïnes. Elles auraient enduré des souffrances démesurées, alors même que les hommes furent beaucoup plus touchés par les hospitalisations et les décès. Elles étaient les héroïnes de la lutte anti-covid sans qu’on s’intéresse aux hommes en première ligne (ambulanciers, livreurs, éboueurs…). Comme les hommes mouraient plus, on invoqua la génétique et leur mode de vie. Ils furent accusés d’être des super-contaminateurs. Une journaliste du Huffington Post écrivit que c’étaient les hommes blancs, notamment les vieux trop sûrs de leur supériorité, qui contaminaient le plus. Le monde d’après devait être une She-recovery. La réinitialisation féministe n’aime pas la famille. Elle prône la déconnexion entre le fait d’être une femme et celui d’être mère. S’occuper des enfants serait une forme de travail non rémunéré dont devrait se charger d’autres personnes sans lien familial contre un salaire.
L’écart H/F dans le travail est évidemment dans la ligne de mire de ce féminisme réinitialisateur. Sans égard pour les études qui mettent en évidence le retard des hommes sur les femmes, sauf tout en haut de la pyramide sociale. Ainsi, le gouvernement canadien s’est-il engagé, le 8 mars 2021, sur une radio publique, à garantir une « reprise féministe et intersectionnelle ». Depuis des années, les filles réussissent mieux leurs études que les garçons et la détérioration des perspectives d’emploi des hommes réduisent leurs chances de se marier. Quelques mois avant le Covid, une série d’articles parut sur les difficultés des femmes à trouver un mari suffisamment attractif économiquement. Une étude de l’université Cornell avait montré que le compagnon souhaité devait gagner 58 % de plus que l’Américain moyen célibataire. On put lire des articles de journaux avec des titres du genre « Les hommes fauchés compromettent les perspectives de mariage des femmes ». C’est paradoxal quand on sait que la réinitialisation féministe fait si peu de cas du mariage. Un article de The Conversation, en 2020, fit la liste des qualités féminines qui faisaient d’elles de meilleurs dirigeants que les hommes, qualités fondées sur des stéréotypes rejetés, par ailleurs, par les féministes.
La réinitialisation féministe entend bien donner aux femmes la maîtrise totale des rapports sexuels en exigeant de l’homme qu’il s’assure, à tous les stades de la « procédure », d’un consentement positif, sous peine de prison. Tout, chez lui, doit faire l’objet d’une surveillance étroite, y compris la manière dont il s’assoit dans les transports. Une campagne publicitaire de rééducation a même été lancée à cet effet dans les plus grandes villes d’Amérique du Nord. La réinitialisation féministe se représente les rapports hommes/femmes comme une lutte féroce entre oppresseurs et opprimés.
Ce que dit la tyrannie du temps du Covid sur l’avenir proposé par la grande réinitialisation
John Tierney, rédacteur en chef adjoint du City Journal, prône la prudence. Avant de confier le pouvoir aux grands experts mondialistes, il est bon d’examiner leur performance pendant la pandémie. En mars 2020, après l’étude prospective catastrophiste de Neil Ferguson, dont l’équipe s’était déjà trompée lors de la grippe aviaire, prédisant 2 millions de morts d’ici l’été aux Etats-Unis, les médias n’ont pas résisté à la tentation de jouer sur la panique. Antony Fauci a été la voix de la cellule de crise sur le covid à la Maison Blanche présidée par le vice-président Mike Pence. Mais il était aussi à la tête d’un institut qui était le principal financeur de la recherche sur le sujet, ce qui rendait fort difficile la publication de résultats contraires au discours d’Antony Fauci. Martin Kulldorf, épidémiologiste à Harvard, qui s’étonnait de la pensée de troupeau qui avait saisi la recherche écrivit, en octobre 2020, avec des chercheurs de Stanford et d’Oxford, The Great Barrigton Declaration. Cette déclaration fut signée par des milliers de scientifiques et de médecins. Elle encourageait les dirigeants à tester plus souvent le personnel dans les maisons de retraite et les hôpitaux, à isoler les personnes infectées et à protéger les plus fragiles. Elle fut vilipendée dans les médias. Ron DeSantis s’en inspira pour la Floride. Il rouvrit les entreprises et les écoles, tout en concentrant les moyens sur les plus vieux, particulièrement nombreux en Floride. Il fut mis au pilori dans les médias, malgré les résultats de sa politique. Le taux de mortalité, lorsqu’on tenait compte de l’âge, y était, en effet, plus bas que dans la plupart des autres États. En Suède aussi, où il n’y a pas eu de confinement, le taux de mortalité a été inférieur à la moyenne européenne. Le Brownstone Institute, fondé par les initiateurs de The Great Barrington Declaration, a compilé 400 études montrant les effets néfastes en termes économique, alimentaire et sanitaire des mesures restrictives appliquées. Aux Etats-Unis, il y aurait eu ainsi 130 000 décès supplémentaires en 2020 non attribuables au Covid.
John Tierney craint que ne s’applique ce que Robert Higgs appelle l’effet de cliquet, que les mesures exceptionnelles ne soient jamais complètement abolies et que la question de la réduction du carbone conduise au contrôle de toute activité humaine. Les restrictions imposées pendant le Covid a donné l’impression que les gouvernements faisaient quelque chose. Elles ont causé tant de souffrance que les gens n’ont pas envie de croire que ce fut pour rien. John Tierney aimerait que la gestion du Covid serve de leçon sur ce qu’il ne faut pas faire et que l’on évite la répétition de « paniques pornographiques ». Ce que laisse craindre la grande réinitialisation sur la question climatique.
Si la vérité est la 1ère victime de la Cancel Culture, l’humour vient juste après
Hary Stein est rédacteur en chef du City Journal et se décrit comme un réfugié plutôt récent de la gauche. Il considère que les années 1960-1970 marquèrent un tournant dans le rôle de l’humour en Amérique. Avant, les Américains pouvaient rire ensemble des mêmes blagues et les spectacles, jusque dans les années 1960, valorisaient la famille et les pères. Tout a changé avec la guerre au Vietnam. Mais ce n’était pas encore la monoculture rigide et vengeresse d’aujourd’hui. Les Américains sont maintenant autant divisés sur ce qui les fait rire que sur tout le reste. Mais de plus en plus de gens ordinaires se rendent compte que la grande réinitialisation promet un avenir dans lequel ils ne veulent pas vivre. Pour Hary Stein, l’esprit de sérieux des partisans de la grande réinitialisation laisse à leurs opposants le recours à l’humour pour les combattre.
Impact de la grande réinitialisation sur les aspects pratiques
Dans ce chapitre, les auteurs mettent en garde contre les risques associés à des décisions planificatrices très centralisées et leur effet délétères sur l’innovation.
L’énergie verte et l’avenir des transports : pour une transition lente et décentralisée
Salvatore Babones est un sociologue américain, professeur associé à l’université de Sydney. Pour lui, une planification technologique centralisée par une bureaucratie gouvernementale éloignée de la vie concrète des gens ordinaires, telle que celle soutenue par le FEM, a toutes chances de mettre en œuvre des solutions économiques impraticables, en raison de l’incertitude sur les technologies qui réussiront. La diversité des expérimentations est la clef. Les transports n’échappent pas à la règle. La grande réinitialisation promet des systèmes hautement centralisés et très intensifs en capital parce que c’est le type de solutions qui convient le mieux à la planification. Elle mise sur une seule infrastructure, celle des éoliennes et du solaire, qui sont des énergies intermittentes, soutenue par la production de batteries. Pourtant ces énergies, si elles alimentent le réseau électrique, n’en font pas partie à la manière des centrales électriques, comme l’a montré le black out au Texas en 2021. Elles peuvent y être connectées mais n’aident pas à maintenir la fréquence du réseau à la manière des générateurs conventionnels qui peuvent se relayer sans intervention humaine.
Les voitures électriques devraient participer au réseau et pourraient en être un stabilisateur, mais pas à travers un réseau de bornes de recharge dupliqué à partir du poste à essence. Salvatore Babones propose une transition vers des réseaux intelligents. La technologie des voitures automatiques comportant des batteries pourrait contribuer autant au système de transport qu’au système électrique. Ces voitures se déchargeraient ainsi le soir pour contribuer aux usages du ménage et attendraient les plages du matin peu chères pour se recharger. Aux voitures électriques personnelles, s’ajouteraient les taxi-robots. La lenteur de la transformation garantit la possibilité de corriger des erreurs. La transition doit être graduelle, incrémentielle et décentralisée.
Pour Salvatore Babones, le problème posé par la grande réinitialisation n’est pas l’idée de transition mais la rapidité qu’elle suppose et son mode de mise en oeuvre. Elle est une sorte de communisme piloté par le profit, présenté de façon paternaliste, sous le manteau vert d’un agenda étatique. On comprend pourquoi Xi Jinping fut accueilli si chaleureusement et complimenté au Davos de 2021.
Une révolution anti-industrielle
Martin Hutchinson fut un banquier d’affaires avant de devenir journaliste financier en 2000. Il évalue la grande réinitialisation à la lumière de ce que furent les politiques britanniques (après le Bill of Rigths de 1689) qui permirent la révolution industrielle. Pour lui, c’est l’ l’URSS sans le goulag.
Lors de l’apparition des chemins de fer, un moteur important de la révolution industrielle fut l’actionnariat. Avec la grande réinitialisation, les intérêts des actionnaires seraient soumis à d’autres intérêts déterminés par la nomenklatura de Davos. Comme Salvatore Babones, Martin Hutchinson pense que le côté soviétique de la grande réinitialisation conduira aux mêmes erreurs. En étouffant l’innovation à petite échelle et la diversité des initiatives, les erreurs inévitables deviendront gigantesques. Le FEM, pilier du système des méga-banques distantes, reproduit l’erreur du Gosplan soviétique. Au nom du combat contre le changement climatique, la grande réinitialisation cherche à rendre obsolètes des processus économiques pourtant essentiels à l’économie mondiale comme le mécanisme des prix. Les technocrates n’ayant aucune imagination allant au delà de ce qui existe déjà, la gouvernance technocratique ne pourra que freiner l’innovation nécessaire pour relever les défis. Une telle révolution anti-industrielle détruirait, d’abord lentement, mais inexorablement notre civilisation écrit Martin Hutchinson.
Un « capitalisme à visage humain », mais à responsabilité limitée vis-à-vis des actionnaires ?
Alberto Mingardi est directeur de l’institut italien Bruno Leoni. Comme il l’explique, la gouvernance des grandes entreprises est assurée par des dirigeants professionnels et un conseil d’administration dont les membres sont élus par les actionnaires auxquels ils doivent rendre des comptes. Les partisans de la grande réinitialisation veulent que la responsabilité des entreprises s’étende au delà en incluant, dans leur processus de décision, ce que Klaus Schwab appellent les « stakeholders » (parties prenantes). Il en énumère quatre : les gouvernements, la société civile, les entreprises et la communauté internationale. Ainsi, « plutôt que de rechercher des profits de court terme ou un intérêt étroit, les entreprises pourraient viser le bien-être de tous et de la planète entière. Il faut libérer les entreprises du calcul économique. » Des entreprises cherchant à mettre en avant leur caractère vertueux ont déjà adopté des paramètres environnementaux et sociaux, signalant ainsi négativement les entreprises qui ne le font pas. Mais cette course à la vertu rend difficile l’évaluation des performances.
La pandémie a été vue non pas comme une raison de réformer le capitalisme mais comme une opportunité pour le faire, grâce au rôle croissant pris par les gouvernements pendant la crise. Les préoccupations climatiques ont aussi poussé à réévaluer les priorités. Mais les lourdes réglementations dictées par des fonctionnaires omnipotents risquent de conduire à un capitalisme de copinage au détriment de l’innovation.
La capitalisme à l’ancienne était fondé sur les profits et les pertes signalant ainsi ce qu’il était bon de continuer à produire ou non. Donner à des gens n’ayant qu’un lien ténu avec une entreprise le droit de voter sur sa conduite n’est pas forcément une très bonne idée. C’est aux réglementations issues d’un processus politique d’empêcher de polluer et non aux décisions d’un collectif de « stakeholders ».
L’histoire, les croyances et l’art sous la grande réinitialisation
Si tout peut être construit selon son caprice, l’histoire est en grand péril
Jeremy Black est professeur émérite d’histoire à l’Université d’Exeter en Angleterre. Il voit le projet de grande réinitialisation comme une attaque totale du passé. Les conservateurs ont, selon lui, prêté trop peu d’attention à l’arrivée au pouvoir des rebelles de la fin des années 1960 dans les postes de pouvoir. Ils n’ont pas envisagé sérieusement la possibilité qu'un contrôle d’institutions et d’entreprises par une gauche douce ouvre la voie à un endoctrinement par une gauche dure. Le moment Black Live Matters de 2020 n’a fait qu’accélérer la tendance.
L’histoire est au cœur du mantra décolonial. Les historiens sont de plus en plus menacés d’être pris dans une guerre à propos du passé et travaillent sous la menace de collègues et d’administrations universitaires qui fonctionnent au doigt mouillé pour repérer les caprices du jour. Des appels à décoloniser la discipline se font entendre selon une méthode maoïste orwellienne qui consiste à signaler un collègue déviant pour le bien de ce dernier ! Il ne s’agit plus de comprendre le passé mais de le juger. On n’arrive plus à comprendre que, dans le passé, les gens pensaient avoir raison pour des raisons qui semblaient parfaitement légitimes de leur temps. L’approche décolonialiste présente son engagement comme sa rationalité et la théorie critique de la race a beaucoup à voir avec une religion. Elle a son péché originel (celui des Blancs), mais sans possibilité de rédemption. Ces attaques contre le passé en Occident mettent en péril l’humanisme libéral, prêtant ainsi la main à l’ascension de la Chine.
La grande réinitialisation : une religion sous déguisement scientifique ?
Richard Fernandez est un développeur de logiciels australien qui tient un blog sur https://wretchard.com/author/wretchard/. Pour lui, la grande réinitialisation est une sorte de mouvement religieux anonymisé qui a l’ambition de résoudre tous les problèmes du monde. Elle camoufle son agenda moral et eschatologique derrière une rhétorique scientifique et campe ainsi sur le terrain religieux. L’une de ses églises est l’église woke qui pose des certitudes morales, les faits devant suivre du mieux qu’ils peuvent. La bureaucratie géante de la grande réinitialisation demande un chèque en blanc pour le Bien et contre le Mal. Cependant, la science ne peut nous dire ce qui est vertueux et ce qui ne l’est pas. Elle a permis aussi bien l’invention de la cafetière électrique que celle de la chaise électrique. La science est un « prophète silencieux ».
Comme Salvatore Babones, il préconise de laisser de côté les paris visionnaires, d’avancer lentement en estimant les risques, pas à pas, pour éviter les transformations globales irréversibles et de privilégier les décisions locales aux gros « machins » internationaux. La diversité intellectuelle maximale est la clef de la survie parce que l’on n’est jamais sûr de la stratégie qui va marcher. Accepter de ne pas avoir toutes les réponses est moins dangereux que la certitude bureaucratique et le dogme idéologique. Il est en effet impossible de modéliser des phénomènes complexes comme le climat avec l’exactitude qui permettrait d’évaluer les risques avec précision. Tout miser sur l’intelligence artificielle, et s’en remettre ainsi à des mécanismes dépassant l’intelligence humaine, comporte le risque, que mentionnent d’ailleurs Klaus Schwab et Thierry Malleret, d’aboutir à un État de surveillance. Les progrès technologiques peuvent se marier avec différents systèmes de valeur. La Chine construit des centaines de centrales à charbon tout en nous vendant des panneaux solaires grâce au travail des enfants congolais dans les mines de métaux nécessaires à la construction de batteries.
Soumission des arts à l’idéologie ? Le grand art se fiche du politiquement correct
Dans le dernier texte, Michael Walsh, critique musical, plaide pour une émancipation des disciplines artistiques de l’orthodoxie du présent. Il craint que, dans le monde schwabien de la grande réinitialisation, l’art ne soit utilisé comme instrument du conformisme, comme on l’a vu autrefois en Allemagne de l’Est ou en URSS. D’après les partisans de la grande réinitialisation, les périodes de confinement auraient été propices à la création, comme l’aurait été la peste du temps de Newton ou de Shakespeare. En gros, privation et punition seraient la clef de la réussite artistique ! Klaus Schwab et ses collègues, écrit-il, voient dans les êtres humains des spoliateurs de la nature, des êtres trop imparfaits pour décider par eux-mêmes et qui doivent laisser ce pouvoir à des êtres supérieurs comme eux, êtres supérieurs auxquels revient la tache de les domestiquer. Pourtant, Michael Walsh ne croit pas au succès du projet de réinitialisation dans l’art. Par le passé beaucoup ont essayé de le soumettre, mais celui-ci aura toujours le dernier mot écrit-il.