Fécondité française : sur les traces de la fécondité espagnole ?

 

1er février 2023

 

 

Le dernier bilan démographique de l’Insee[1] a été accompagné, et c’est une excellente initiative, de la diffusion de tableaux, téléchargeables en format excel, non seulement sur la France entière mais aussi sur la France métropolitaine. Pour cette dernière les tableaux remontent jusqu’à 1946. En raisonnant sur la France métropolitaine, on évite les discontinuités de champ (avec ou sans Mayotte) et la profondeur historique est plus grande.

La population estimée au 1er janvier 2023 est encore provisoire, ainsi que celle des années 2020 à 2022 et les soldes migratoires des trois dernières années aussi. En janvier de chaque année, l’Insee procède à l’estimation de la population. Celle-ci est faite à partir des données d’état civil, qui sont connues avec précision, et des soldes migratoires que l’lnsee estime de façon provisoire. Ces derniers font la moyenne des soldes des trois dernières années dont les résultats sont définitifs. Ceux de 2020, 2021, 2022 sont ainsi estimés à 173 000[2]. Autant dire qu’il est encore plus imprudent d’en tirer des conclusions sur les migrations qu’il ne l’est pour les années antérieures présentant les estimations définitives.

 

Un accroissement naturel réduit à sa plus simple expression

 

2010 est l’année où l’on a observé le plus grand nombre de naissances depuis 40 ans. De 2010 à 2022, la France métropolitaine a perdu près de  119 000 naissances et « gagné » près de 111 000 décès. D’où la dégringolade du solde naturel (excédent des naissances sur les décès). En 2022, c’est le plus bas enregistré depuis 1946. Il n’y a eu que 32 000 naissances de plus que de décès (tableau ci-dessous). Vieillissement de la population[3] et baisse de la fécondité expliquent cette dégringolade.


























                                      Bilan démographique de la France métropolitaine des années 2010-2022.

                                      Source : Insee, https://www.insee.fr/fr/statistiques/6686521.

 

Le nombre de naissances diminue sous l’effet d’une baisse de la fécondité et de l’évolution du nombre de femmes en âge d’avoir des enfants. Cette dernière somme les évolutions contrastées des différents groupes quinquennaux d’âges qui reproduisent, approximativement, les hausses et les baisses du groupe d’âges précédent avec cinq ans de décalage, comme le montre le graphique ci-dessous sur lequel figurent les principaux groupes d’âges à la maternité.

























                                                      Évolution du nombre de naissances, de l’indicateur conjoncturel de fécondité (ICF),

                                                       et du nombre de femmes âgées de 25-99 ans, de 30-34 ans et de 35-39 ans ainsi que

                                                      leur totalisation (25-39 ans) en France métropolitaine de 2010 à 2022. Base 1 en 2010.

                                                     Source : Insee.

 

L’indicateur conjoncturel de fécondité (ICF) baisse depuis 2010

 

2010 est aussi l’année où le nombre moyen d’enfants par femme (2,02) a été le plus élevé depuis très longtemps. Il faut, en effet remonter à 1974 pour trouver un nombre moyen d’enfants par femme supérieur à 2 en France métropolitaine (2,11). Il diminue doucement depuis 2010, jusqu’à un plateau en 2013-2014 à 1,97 enfant par femme. Cette tendance à la baisse s’accélère ensuite et le nombre moyen d’enfants par femme en 2022 est estimé à 1,76 (graphique ci-dessous). Si le confinement en raison de la pandémie de 2020 a pu freiner la fécondité, il ne faut pas en exagérer son effet. La baisse équivaut à peine à celle de 2015. Le rattrapage de 2021 est lui aussi bien modeste et ne mérite pas l’appellation de rebond utilisée par l’Insee. En effet, rebond suggère une reprise qui dure, ce qui n’est visiblement pas le cas.

Rappelons aussi que les chiffres pour les trois dernières années sont provisoires. La courbe avec les points bleus représente ce qu’aurait été l’évolution de l’ICF, au cours de ces trois années, s’il avait baissé en moyenne comme il l’a fait sur la période 2014-2019. Ce qui nous conduit à un nombre moyen d’enfants par femme équivalent à celui estimé par l’Insee en 2022. Si, comme l’écrit l’Insee, « la France est  le pays de l’UE le plus fécond » en 2020, dernière année disponible à Eurostat, il serait sans doute plus exact d’écrire qu’elle est le pays le moins mal en point quant au niveau de sa fécondité.
























                                      Évolution de l’indicateur conjoncturel de fécondité en France métropolitaine de 2010 à 2022.

                                      Source : https://www.insee.fr/fr/statistiques/6686521.

 




Une fécondité de plus en plus tardive

 

L’âge moyen des femmes à la naissance des enfants a augmenté de quatre ans en quarante ans (27 ans en 1981, 31 ans en 2021). En 2022, il est estimé à 31,1 ans par l’Insee.

Le graphique ci-dessous représente le nombre moyen d’enfants par femme pour différents groupes d’âges dont le cumul donne l’indicateur conjoncturel de fécondité, de 1971 à 2022. En 1971, en France métropolitaine, les femmes ont eu en moyenne 2,5 enfants par femme, dont 69 % étaient nés avant 30 ans. Alors que la fécondité atteinte avant 25 ans baisse de façon quasi-ininterrompue, le report sur les âges suivants laisse aux femmes âgées de 25-29 ans une fécondité qui se maintient relativement bien et une fécondité en hausse entre 30 et 34 ans jusqu’en 2007. Entre 1987 et 2007, ce sont les femmes âgées de 25-29 ans et de 30-34 ans qui participent le plus à la fécondité, soutenues en cela par les femmes âgées de 35-39 ans dont la fécondité s’est accrue presque continument depuis 1977. Après 2007, ce sont les femmes âgées de 30-34 ans qui participent le plus à la fécondité, mais sur une tendance légèrement baissière, cependant moindre que celle qui affecte la fécondité des femmes de 25-29 ans, laquelle se cumule à celle observée avant 25 ans. Ni le report à 35-39 ans ni la remontée de la fécondité à 40-44 ans ne sont suffisants pour contrarier la baisse de fécondité avant 35 ans. Le report toujours plus tard des naissances doit s’accommoder d’une fertilité déclinante avec l’âge. En 1971, les femmes avaient déjà eu 1,73 enfant en moyenne avant 30 ans. Ce n’est guère moins que le nombre moyen d’enfants des femmes âgées de 15-49 ans en 2022 (1,76).

Par ailleurs, il faut, à la lumière de cette évolution sur une cinquantaine d’années, relativiser le fameux « rebond » dont parle l’Insee pour 2021, minime à 30-34 ans et à peine visible à 35-39 ans.




























































































Évolution de l’indicateur conjoncturel de fécondité en France métropolitaine de 2010 à 2022.

Source : https://www.insee.fr/fr/statistiques/6686521.

                                      Nombre moyen d’enfants par femme de différents groupes d’âges en France métropolitaine de 1971 à 2022.

                                       Source : https://www.insee.fr/fr/statistiques/6686521.

 

La baisse de la fécondité en France préfigure-t-elle une situation à l’espagnole ?

 

D’après l’Institut de statistiques espagnol (Ine), les femmes ont eu en moyenne 1,19 enfant par femme en 2021. Les taux de fécondité par groupe d’âges retenus sont ceux communiqués par l’Ine à Eurostat pour les années 1971-2020, auxquels ont été ajoutés ceux de l’Ine pour l’année 2021. Ces données permettent de décomposer l’indicateur conjoncturel de fécondité par groupe d’âges de la même manière que pour la France. Avant d’y venir, il faut rappeler que la fécondité espagnole était encore de 2,9 enfants par femme en 1971, qu’elle a subi une chute vertigineuse jusqu’à 1,13 en 1998, pour remonter jusqu’à 1,44 en dix ans, avant de décliner à nouveau. Une chute beaucoup plus profonde et rapide qu’en France qui s’est accompagnée d’une augmentation de l’âge moyen à la maternité. Il est de 32,6 ans en 2021 contre 28,2 ans en 1980.

Si l’on regarde maintenant la participation des groupes d’âge à l’indicateur conjoncturel de fécondité, ce qui a différencié la France de l’Espagne, c’est d’abord la bonne tenue de la fécondité des femmes âgées de 25-29 ans, alors qu’elle a été divisée par 4,2 en près de cinquante ans en Espagne. Cette chute s’est conjuguée à celle non moins abrupte de la fécondité à 20-24 ans et celle à 30-34 ans jusqu’au milieu des années 1980. La remontée de la fécondité à 30-34 ans et à 35-39 ans contrebalance un temps la poursuite de la baisse de la fécondité aux âges plus jeunes et explique la remontée de l’ICF qui atteindra 1,44 enfant par femme en 2008. Mais cette compensation n’a qu’un temps et le plafonnement de la fécondité à 35-39 ans conjugué au repli de celle à 30-34 ans va ramener la fécondité espagnole en-dessous de 1,2 enfant par femme en 2020 et 2021. En 2010, la fécondité à 25-29 ans est passée en dessous de celle à 35-39 ans. Ce qui n’est pas le cas en France. Mais, en France, si la fécondité à 25-29 ans poursuivait sa tendance à la baisse, elle pourrait finir par rejoindre celle des femmes âgées de 35-39 ans, dont la marge de progression semble, quant à elle, bien étroite. Pour descendre à un niveau de fécondité aussi bas que celui de l’Espagne, il faudrait aussi que flanche la fécondité des femmes âgées de 30-34 ans qui est actuellement touchée par une légère baisse.

                                            Nombre moyen d’enfants par femme de différents groupes d’âges en Espagne de 1971 à 2022.

                                            Source : Eurostat, Ine.

 

Si nous sommes, comme le répète l’Insee à longueur de publications, le champion de la fécondité dans l’UE, la situation française n’est cependant pas brillante. Nous serions bien inspirés d’interroger à nouveaux frais notre politique familiale et songer à ce qui pourrait être entrepris pour éviter que ne s’effondre la fécondité des femmes âgées de 25-29 ans et pour que la baisse de la fécondité des femmes âgées de 30-34 ans qui se profile ne s’approfondisse pas afin d'éviter ainsi de descendre la pente parcourue par nos voisins espagnols.


[1] Sylvain Papon, Bilan démographique 2022. L’espérance de vie stagne et reste inférieure à celle de 2019, Insee Première, n°1935, 17 janvier 2023. https://www.insee.fr/fr/statistiques/6687000#consulter.

[2] (166 654 + 211 349 + 139 849)/3 = 172617, arrondi à 173 000.

[3] Lequel accentue les effets du Covid sur la mortalité.