Démographe
Immigration : données Eurostat
3 juin 2019
Comme on l’a vu précédemment (http://www.micheletribalat.fr/442783688), le règlement européen 862/2007 de l’UE sur les statistiques des migrations et de la protection internationale oblige les États-membres à communiquer à Eurostat des données correspondant aux définitions énoncées dans ce règlement. C’est par exemple le cas des 1ers titres de séjour délivrés à des étrangers des pays tiers que chaque État, s’il est en capacité de le faire, doit communiquer selon la durée du titre (3 à 5 mois, 6 à 11 mois, 12 mois ou plus), le motif en quatre postes (famille, études, activité rémunérée, autre), le sexe et le groupe d’âges quinquennal. Tous ne peuvent s’y conformer entièrement pour toutes les années allant de 2008 à 2017. Le Royaume-Uni fournit des données tirées de ses enquêtes aux frontières et d’autres enquêtes. Certains pays, comme la France et l’Irlande, n’exigent pas des enfants qu’ils détiennent un titre de séjour. Les moins de 16 ans sont ainsi exclus. S’y ajoutent, pour la France, les 16-17 ans qui ne sont pas obligés de détenir un titre de séjour sauf s’ils travaillent. Par ailleurs, les enfants nés dans certains pays européens se voient aussi délivrer un 1er titre de séjour si leurs parents sont étrangers et en l’absence de droit du sol plein sont ainsi comptés dans les 0-4 ans.
Le champ des âges est donc plus restreint en Irlande et en France.
En consultant l’annexe 2 intitulée « First Permits Completeness » (https://ec.europa.eu/eurostat/cache/metadata/en/migr_res_esms.htm), on y apprend que si les visas de long séjour valant titre de séjour sont inclus s'agissant de la France, ce n'est pas toujours le cas, comme en Slovénie en 2014. Par ailleurs, en Autriche, une personne peut être comptée plusieurs fois, pour plusieurs motifs, par exemple Famille et Études.
Ce n’est qu’à partir de 2012 que les données des différents pays, aux différences énoncées près, sont déclarées conformes aux exigences d’Eurostat, au moins pour l’ensemble des 1ers titres, toutes durées confondues.
Pour la France, les données communiquées le sont depuis 2008. D’après la plaquette en ligne sur le site de l’Insee (https://www.insee.fr/fr/information/2114629), c’est le service statistique de la Direction Générale des Étrangers en France (DGEF) au ministère de l’Intérieur – le Département des Statistiques, des Études et de la Documentation (DSED) – qui transmet directement à Eurostat les données sur les 1ers titres de séjour délivrés chaque année.
Eurostat met en ligne des informations sur la délivrance de 1ers titres de séjour qui ne sont pas accessibles sur les sites français du ministère de l’Intérieur ou de l’Insee, en tout cas sous forme de séries. En effet, à partir de juin 2018, le ministère de l’Intérieur met bien en ligne certains tableaux Eurostat, une partie, sans doute, de ceux qu’il communique à Eurostat. Mais les années concernées sont 2016 seulement en juin 2018 et 2017 seulement en juin 2019 (chiffres définitifs). Dans sa publication de juillet 2017, le ministère de l’Intérieur s’était contenté de renvoyer au site d’Eurostat.
Les données en ligne sur le site d’Eurostat devraient donc permettre d’approfondir l’information rendue publique le 12 juin par le ministère de l’Intérieur (http://www.micheletribalat.fr/442783688). On verra que la qualité n'est pas toujours au rendez-vous.
Durée de validité des 1ers titres de séjour
Sur 1,35 million de 1ers titres de séjour délivrés en France de 2008 à 2017, 91,3 % avaient une durée de validité d’au moins un an. Cette proportion évolue peu au fil des ans, n’est jamais descendue en dessous de 88 % et n'a jamais atteint 93 % au cours de ces dix années. Elle est, sans surprise, très élevée pour les 1ers titres délivrés en raison des liens familiaux (98,5 % pour l’ensemble de la période) et pour la rubrique « autres raisons », contenant notamment l’asile (95,6 %), mais tourne autour de 81 % pour les titres étudiants et 82 % pour les activités rémunérées.
C’est loin d’être la règle dans l’UE. Sur la période 2012-2017, pour laquelle les données sont jugées comparables par Eurostat, si l’on met de côté le Royaume-Uni sur le point de sortir de l’UE, c’est seulement 56,3 % des 1ers titres de séjour qui ont une durée de validité au moins égale à un an dans l’UE27, contre 91,3 % en France. Cette proportion est particulièrement faible pour la Pologne qui a pourtant délivré le plus grand nombre de 1ers titres de séjour de 2012 à 2017 (tableau ci-dessous), surtout à des Ukrainiens, mais pour de courtes durées. Ici on a des mouvements très particuliers, liés à l’histoire.
On aimerait disposer de plus d’informations sur les titres d’une durée de validité d’au moins un an, correspondant justement à la définition de l’immigration retenue par l’UE dans son règlement. Malheureusement, les données sont plus fournies ou plus exhaustives sur l’ensemble des titres. On ne connaît pas, par exemple, la répartition par âge des étrangers à qui a été délivré un titre de séjour d’au moins un an.
Relativement au nombre d’habitants, si l’on se limite aux titres de séjour d’au moins un an, Malte excepté, c’est la Suède qui a délivré le plus de 1ers titres de séjour (57,1 ‰). La France se situe au dessus de la moyenne de l’UE27, de l’Allemagne, de l’Italie, de la Belgique et même de l’Espagne, compte non tenu des mineurs pris en compte côté espagnol.
Nationalité des étrangers qui ont reçu un 1er titre de séjour (2008-2017)
En France, le classement des étrangers admis au séjour par nationalité varie peu selon que l’on prend tous les 1ers titres ou seulement ceux d’une durée de validité au moins égale à un an. Les 20 1ers pays de la nationalité des étrangers accueillis en 2017 sont les mêmes. Si l’on se limite aux 1ers titres de séjour d’au moins un an, seuls les Etats-Unis et le Brésil sont alors franchement déclassés car la proportion de titres d’au moins un an est, pour eux, respectivement de 52 % et de 43 % cette année-là. Pour l’ensemble des 1ers titres de séjour, ces vingt pays regroupent 67,3 % à 70,5 % des étrangers ainsi admis, selon les années. Les pays du Maghreb sont, sans surprise, en tête, devant la Chine. Les Afghans, les Syriens et les Soudanais, qui étaient quelques centaines seulement à la fin des années 2000 à obtenir un 1er titre de séjour, sont en 2017 quelques milliers. Le nombre d’Afghans a été multiplié par 26 en neuf ans et sont désormais plus nombreux que les Camerounais. Le nombre de Soudanais a été multiplié par près de 19 et celui des Syriens par 9. Celui des Indiens a été multiplié par un peu plus de 2. Seuls les Turcs et les Maliens se sont faits moins nombreux sur la période (tableau ci-dessous).
Les pays d’origine ne sont évidement pas les mêmes dans les différents pays d’Europe, comme l’indique le tableau ci-dessous compilant les trois pays d’accueil arrivant en tête pour quelques nationalités étrangères en 2012-2017.
Composition par âge
Eurostat met aussi en ligne des tableaux sur la composition par âge et motif de délivrance du 1er titre de séjour, toutes durées de validité confondues. Les étrangers des pays tiers à qui la France a délivré un 1er titre de séjour en 2012-2017 sont, sans surprise, particulièrement jeunes : 70 % d’entre eux ont moins de 35 ans (graphique ci-dessous)
Mais, lorsqu’on examine la composition par groupe d’âges et motif de délivrance, les choses se gâtent. La France semble avoir transmis des informations peu cohérentes à Eurostat. Qu’il y ait quelques rares erreurs sur l’âge, avec des titres de séjour délivrés à des étrangers de moins de 4 ans, passe encore. Mais que l’on ait, en 2015, en grande quantité, des titres de séjour pour motif d’études apparemment délivrés à des étrangers qui ont visiblement passé l’âge auquel on étudie, c’est beaucoup plus embêtant.
Normalement, les données sont tirées de l’application AGDREF qui sert à la fabrication des documents, ce qui devrait entraîner très peu d’erreurs. C’est vrai des titres de séjour. Mais le remplacement de nombre d’entre eux par des visas de long séjour valant titre de séjour (VLS-TS) nécessite que l’OFII saisisse des informations dans l’application du ministère de l’Intérieur lors du passage des détenteurs de ces visas à l’OFII. Est-ce là que l’erreur s’est produite pour l’année 2015 ?
Examinons les délivrances de 1ers titres de séjour pour études par grand groupe d’âges en France, en Espagne et en Italie en 2015 et pour les deux années encadrant 2015. On sait qu’en Espagne et en Italie, des enfants peuvent se voir délivrer de tels titres, ce qui n’est pas le cas de la France. Les moins de 15 ans ont donc été éliminés.
En Espagne et en Italie, le gros des étrangers venus au titre des études ont moins de 30 ans. C’est aussi le cas en France, mais seulement en 2014 et 2016. En 2015, on a plus d’étudiants de 30-49 ans que d’étudiants de 15-29 ans, ce qui est déjà étrange. Plus étrange encore est la persistance d’effectifs d’étudiants au-delà de 50 ans en nombre conséquent et notamment à 70 ans ou plus cette année-là. Il y en a même 65 qui avaient plus de 84 ans ! Qu’il y ait quelques étrangers d’un certain âge venant en France parfaire un cursus universitaire, linguistique par exemple, ça reste dans le domaine de l’envisageable. Mais pas 1 284 personnes d’au moins 70 ans comme en France en 2015, alors qu’il n’y en avait que 4 l’année d’avant et 7 l’année d'après ! Ces « étudiants de la dernière heure » sont surtout des hommes : 60 % à partir de 50 ans. Erreurs d’âge, de mention sur le titre ou le visa ?
De telles anomalies flagrantes sont inexistantes en Espagne et en Italie (tableau ci-dessous).
Nombre de 1ers titres de séjour délivrés au motif des études à des étrangers des pays tiers par groupe d’âges en France (y compris les TOM et COM), en Espagne et en Italie en 2014-2016.
Source : Eurostat.
Cette singularité de l’année 2015 est particulièrement visible lorsqu’on examine l’évolution de leur nombre depuis 2012, par groupe quinquennal d’âges avant 50 ans, surtout si on compare cette évolution à celle observée en Espagne, même avec une échelle réduite de moitié (graphique ci-dessous). Une comparaison avec l’Italie donnerait la même chose.
Mais d’autres anomalies apparaissent ailleurs dans les séries françaises, notamment pour la famille de motifs « Autres raisons » qui comprend, en France, les réfugiés, les bénéficiaires d’une protection subsidiaire, les bénéficiaires des titres avec mention « retraité », « visiteur »... On s’attend donc à y trouver plus de personnes d’un certain âge que pour le motif « études ». Là encore, si les séries espagnole et italienne montrent une certaine cohérence, ce n’est pas vrai de la série française, dont les anomalies apparentes sont colorées sur le tableau ci-dessous. On se demande même si les personnes de plus de 49 ans qui manquent en France en 2015 ne correspondent pas au surplus constaté plus haut parmi les titres délivrés pour études ! Pourquoi n’y aurait-il soudainement plus eu aucun titre délivré pour les 70 ans ou plus et 59 seulement pour les 50-69 ans en 2015 ? (tableau ci-dessous)
Nombre de premiers titres de séjour délivrés pour un autre motif que les études, le travail ou la famille à des étrangers des pays tiers par groupe d’âges en France (y compris les TOM et COM), en Espagne et en Italie en 2014-2016.
En Italie, l’année 2016 répercute la crise de l’asile de 2015, le temps que les demandes soient traitées.
Source : Eurostat.
Ce ne sont, hélas, pas les seules anomalies constatées sur les données livrées par le ministère de l’Intérieur à Eurostat. Pourquoi aurait-on soudain 638 étrangers de plus de 69 ans à qui on aurait délivré un 1er titre de séjour pour activité rémunérée en 2015, contre quelques dizaines seulement dans les années encadrantes (2012 à 2014 et 2016 à 2017).
Ces diverses incohérences jettent le doute sur la qualité des données produites par le ministère de l’Intérieur. On reste sans voix à l’idée que personne n’ait eu l’idée d’aller regarder d’un peu près les données communiquées à Eurostat et qu’aucun contrôle de cohérence n’ait été conduit avant de les lui transmettre.