[1] Dans son premier rapport publié en 1991, le Haut Conseil à l’intégration s’était démarqué de l’assimilation. L’intégration y était définie comme « le processus spécifique par lequel il s’agit de susciter la participation active à la société d’éléments variés et différents tout en acceptant la subsistance de spécificités culturelles, sociales et morales et en tenant pour vrai que l’ensemble s’enrichit de cette variété, de cette complexité. » Une définition multiculturaliste et optimiste en accord avec la nouvelle utopie décrite par Paul Yonnet.

Commentaires

Daniel SÉRÉ

07.10.2022 18:32

Le regretté Paul Yonnet était un visionnaire dont la voix fut étouffée par des gauchistes toujours prompts à se ruer sur ce genre de penseur libre. Merci, Madame pour cette évocation.

Altruiste

07.10.2022 13:44

Merci. Il m'étonnerait fort que les conséquences aient dérangé personnellement beaucoup les membres du Conseil d'état qui ont fait le jeu du RN

Altruiste

07.10.2022 12:58

Soyons conscient que Giscard et Chirac ont tous deux regretter la signature sous leur responsabilité du maléfique décret sur le regroupement familial n'obligeant même pas à s'habiller "français"

Tribalat

07.10.2022 13:18

Ce décret de 1976 suit une annulation en Conseil d'État de la suspension de l'immigration en général de 1974 obligeant l'État à réintroduire la possibilité du regroupement familial.

Stefanini patrick

07.10.2022 11:35

Merci , Madame, pour cette excellente analyse d’un livre remarquable qui éclaire le temps présent

VOYAGE AU CENTRE DU MALAISE FRANÇAIS

L ‘ANTIRACISME ET LE ROMAN NATIONAL

Paul Yonnet, L’Artilleur, 2022, 349 p.

Préface de Marcel Gauchet et Postface d’Éric Conan

 

7 octobre 2022

 

Damien Serieyx a eu l’excellente idée de republier le livre de Paul Yonnet paru en 1993 et dont la sortie fut scrupuleusement gâchée par l’offensive lancée par Laurent Joffrin, alors directeur du Nouvel Observateur, suivie par les bons petits soldats de la presse acquis aux thèses de SOS Racisme, comme le relate la postface d’Éric Conan. « Touche pas à mon pote » aurait pu, aussi, être le slogan de cette presse là. Comme l’écrit Éric Conan, « cette charge aussi violente que malhonnête est un hommage paniqué rendu à la force de l’analyse de Paul Yonnet ».

 

« SOS Racisme surgit comme un poisson dans l’eau »

Lorsqu’il apparaît en 1984, SOS Racisme n’est pas un ovni. Il est le pur produit de son époque et naît dans un écosystème déjà acquis à l’antiracisme, au droit à la différence, au dénigrement de l’assimilation, au caractère à la fois inévitable et positif de l’immigration de masse et à la désubstantialisation de l’identité française. L’utopie marxiste s’étant dissipée en 1983, le racialisme différentialiste fait figure, au sommet de l’État, de substitut présentable. « SOS Racisme descend de l’idéologie d’État antiraciste développée par le socialisme au pouvoir avant d’y remonter » (p. 68). L’Église catholique elle-même tire les conclusions de l’effondrement de la pratique religieuse et de son effacement. Elle « a intériorisé sa défaite et consent à n’être qu’une communauté religieuse parmi d’autres et « non plus celle qui vertébrait le corps français » » (p. 96). « Les deux principaux arceaux de soutènement de la voûte française se désagrègent presque en même temps… SOS Racisme surgit de cet effondrement et recale le sens de l’histoire à venir dans une positivité nouvelle» (p. 22-23). 

SOS Racisme rompu aux techniques de communication

Sous l’apparence de la spontanéité d’une jeunesse engagée, les interventions publiques de SOS étaient très travaillées lors de réunions « présidées » par Julien Dray, le « penseur officiel » de l’association. Leurs cibles étaient les appareils médiatique et scolaire. Leur but était de créer une « large zone de sympathie » par un discours édulcoré tout en envoyant des signaux aux militants. Par exemple, tout en concédant que l’immigration clandestine est un problème, Harlem Désir affirmait que la réponse ne pouvait pas être policière mais devait passer par l’aide au développement des pays du Sud, acclimatant ainsi l’idée de « droit d’asile économique ». D’ailleurs, Jean-Louis Bianco, lorsqu’il était ministre des Affaires sociales et de l’intégration, regrettait que la société française ne fût pas prête à l’accepter.

Les mythes développés autour de la création de SOS racisme témoignent du travail de scénarisation dont fut capable ce mouvement. Deux versions mensongères du « roman des origines » furent accueillies avec complaisance par des médias conquis d’avance. Le premier mensonge consista à prétendre que SOS avait été créé suite au double meurtre de Châteaubriant alors que l’enregistrement de SOS à la Préfecture de Paris l’a précédé (1er novembre 1984). La complicité active des médias encouragera SOS à récidiver et à élaborer plus tard une version concurrente : La légende de Diego. Celle-ci remporta elle aussi un franc succès auprès des médias. C’est l’histoire d’un ami sénégalais qui prend peur dans le métro lorsqu’une femme déclare qu’on lui a volé son portefeuille et que tous les regards se tournent vers lui, le seul Noir présent dans le wagon. Traumatisé à vie, il retourne dans son Sénégal natal. C’est Serge Malik, un ancien haut responsable, qui vendra la mèche : cette légende fut fabriquée et scénarisée en réunion. Une façon d’acclimater le grand public à une vision repoussante de lui-même.

Autre légende qui finira par s’éteindre : la non politisation  de SOS

Contrairement à la légende cultivée par SOS, le triumvirat à l’initiative de sa création est fortement politisé. L’enregistrement de SOS à la Préfecture de Paris comme association humanitaire ne doit pas faire illusion. Julien Dray fut un temps trotskiste à la Ligue communiste révolutionnaire et investi dans le syndicalisme étudiant. Il est affilié au PS, dont il animait l’aile gauche, depuis 1981. Harlem Désir fut un temps animateur de la jeunesse socialiste à l’université de Créteil. Quant au troisième, Rocky, c’est un ancien de la Ligue communiste révolutionnaire.

Après avoir essuyé une fin de non recevoir de Lionel Jospin à Matignon, Julien Dray tenta sa chance à l’Élysée où il reçut la bénédiction, les parrainages et les facilitations de Jean-Louis Bianco. C’est donc à partir du sommet du pouvoir que SOS Racisme va irradier les étages inférieurs, signant ainsi l’emprise croissante de l’Elysée sur les ministères. La politisation initiale de SOS finira par apparaître au grand jour, ruinant ainsi le récit épique des origines. Mais l’association sera le « nouveau réservoir politico-social » de candidats à l’élite. Paul Yonnet appelle « conglomérat vertical », l’assemblage de l’appareil d’État, de l’association antiraciste, des médias et d’une génération.

Une nouvelle utopie qui naît de l’échec de Mai 1968

En fait, SOS participa à l’incrustation, dans les élites et la société françaises, d’une utopie de substitution. Celle d’un « sociocentrisme négatif » mis au service des pauvres contre les riches, recyclant ainsi un reste de lutte des classes dont les rôles furent redistribués selon des critères raciaux. Pour Paul Yonnet, c’est ainsi que l’on peut expliquer la place prise alors par les célébrités médiatiques. Les scientifiques qui nient l’existence des races sont moins utiles lorsqu’on cherche à promouvoir une société multiraciale. L’utopie de substitution, comme l’utopie marxiste, établit un lien entre l’avenir et une catégorie sociale. Cette fois, les immigrés. Dans l’antiracisme, la conscience de communauté remplace la conscience de classe avec, pour effet, une déconsidération de la classe ouvrière. En témoignent la caricature du Beauf par Cabu et l’usage de plus en plus fréquent de l’expression « petit Blanc » en analogie avec la situation raciale au sud des Etats-Unis. Cette expression suggère la survivance d’un monde d’hier sur le point d’être englouti.

Cette nouvelle utopie est séparatiste en cela qu’elle oppose un front intercommunautaire aux Français racistes, délégitimant ainsi la « conscience de nation ». L’argumentaire antiraciste sur la question migratoire conjugue ‘rien de nouveau’ (ce que Paul Yonnet appelle un anxiolytisme tactique) et ‘la situation est exceptionnelle’ : il n’y a pas plus d’immigrés que dans les années 1930 mais une forte proportion de population d’origine étrangère. Le slogan « nous sommes tous des immigrés » dépossède les autochtones de toute légitimité de se référer à une conscience nationale. Il alimente ainsi l’angoisse de voir disparaître l’identité française et fait courir le risque d’un repli sur des caractères ethniques.

SOS racisme, en cherchant une caution morale du côté des associations juives et en cultivant l’analogie entre immigrés maghrébins et Français juifs, recommunautarise les juifs et contribue à faire de ces derniers des étrangers.

Un pouvoir politique travaillé de l’intérieur par la nouvelle utopie

La déconsidération de l’assimilation amène les socialistes à promouvoir le concept d’intégration qui aura un bel avenir, avant d’être mis au rancard plus récemment et remplacé par celui de discrimination, suite logique de l’utopie forgée dans les années 1980. Le concept d’intégration était assez flou pour abriter les partisans de l’assimilation républicaine tel Jean-Pierre Chevènement et ses opposants[1]. Lorsqu’en 1987 Harlem Désir dit rompre avec « l’ambiguïté du droit à la différence », c’est pour prêcher un « droit à la ressemblance » confiné à la culture des droits de l’homme. Partager cette culture suffirait à faire de n’importe qui un Français, mais cela revient aussi à dénationaliser les Français ancestraux qui ne s’en font pas la même idée.

La question identitaire en partage

L’antiracisme, lorsqu’il cherche à s’inscrire dans une longue tradition, ne s’interdit pas les anachronismes. C’est ainsi qu’il présente l’introduction du double droit du sol comme une mesure antiraciste alors qu’elle visait à empêcher les petits-fils d’immigrés de se soustraire à leurs obligations militaires. Il en va de même lorsqu’il exagère l’ancienneté de l’immigration massive pour l’intégrer à l’identité française. L’antiracisme, comme le racisme, participe à la formation de préjugés, par inversion de la hiérarchisation. C’est particulièrement net dans l’interprétation des faits divers.

Métamorphose du mythe antiraciste en angoisse de la perte de soi dans les années 1990

C’est en 1989 que François Mitterrand parle de seuil de tolérance à ne pas dépasser. L’aide au développement revient alors sur la table comme remède, reportant ainsi la responsabilité de l’immigration étrangère sur les pays vers lesquels elle se dirige, sans prêter attention à la mise en garde de Georges Tapinos, dans Le Figaro en 1991, contre le risque de favoriser ainsi la mobilité internationale. Endosser la responsabilité des flux migratoires, c’est une manière de dédouaner les pays de départ et de se placer au centre du problème. Au total, les pro et les anti adhèrent à l’idée d’une inéluctabilité de l’immigration massive. Le néo-antiracisme de gauche décroche de l’utopie régénératrice et cherche alors à susciter la résignation à l’effacement face au « mythe de la revanche des pauvres contre les riches » p. 260. Ce qui nécessite une action sur les représentations dominantes pour amener la société à y consentir.

Mai 1968 : « une défaite politique immédiate, mais une victoire culturelle à terme »

La révolte étudiante s’imaginait incarner l’avant-garde d’une classe ouvrière qui finirait bien par la rejoindre, sans voir que les ouvriers refusaient l’image qu’elle renvoyait d’eux. S’en suivirent une grande désillusion et un sentiment de trahison. Le slogan « nous sommes tous des juifs allemands » préfigure celui de SOS : « nous sommes tous des immigrés ». Les étudiants défaits en 1968 sont ceux qui vont grossir les rangs de l’élite appelée à occuper des postes de pouvoir politiques ou culturels quinze ans plus tard et se trouver ainsi dans « une position idéale pour ferrailler avec le mythe national » (p. 283). Ils seront en mesure de déconsidérer le mythe de la France résistante pour lui substituer celui d’une France accommodante avec l’occupant où seule une petite fraction de Français a résisté et dont les étudiants vaincus de Mai 1968 se considèrent les héritiers. Ils poursuivraient ainsi la résistance contre une « France pétainiste » et qui le serait restée. Ce n’est pourtant pas un déficit d'universalisme qui expliquait la collaboration, mais plutôt un « déficit de virulence patriotique, nationale ou nationaliste » (p. 307). Les néo-résistants post-soixante-huitards se voient comme les héritiers d’une résistance qui se serait exercée contre le sentiment des Français d’alors. Les écrits de Bernard-Henri Lévy, Robert Paxton et Zeev Sternhell ont contribué à plomber un peu plus le destin de la nation française.  Pour Bernard-Henri Lévy, « dans la collaboration, la France ne s’est rendue coupable que "d’intelligence avec elle-même" » et de « copulation avec ses traditions les mieux enfouies » (L’idéologie française, 1981). On a donc assisté alors à « un reclassement à la hausse du régime de Vichy dans le palmarès de l’horreur » (p. 320). En gros, Vichy antisémite, c’est ce qu’aurait été la France de tout temps. Pourtant, comme l’écrit Paul Yonnet, « les négationnistes sont porteurs de deux négations ; l’une, explicite, vise l’holocauste des juifs ; la seconde, implicite, vise les objectifs hitlériens et le déroulement de la guerre. S’attacher à détruire l’une sans apercevoir l’autre revient à rater le cœur organique du projet » (p.327).

Déplacement du roman national sur le terrain de l’identité française

La France paie un certain embellissement de son attitude sous l’occupation allemande travestissant la réalité, celle d’une France collaboratrice, libérée pour l’essentiel par des puissances étrangères et entrée tardivement dans la résistance après l’introduction du STO. La France se retrouve donc sans roman national, « dans une Europe qui n’est pas près d’en avoir un autonome » (p. 346). Une « identité-mode de vie » reste le dernier bastion de l’appartenance groupale. « Nous avions… la xénophobie et le racisme car nous avions la Nation : craignons d’avoir la xénophobie – des xénophobies de tout calibre – et le racisme, car nous n’aurons plus la Nation… » (p. 349). Son projet de dissolution de la France place l’antiracisme « dans l’absolue incapacité  de raisonner la crainte phobique d’une colonisation de peuplement par l’étranger » (p. 349). Le grand remplacement n’avait pas encore mis le mot sur la chose.

 

Il est de bon ton aujourd’hui d’imputer aux vents qui soufflent d’Amérique le multiculturalisme, la théorie critique de la race et autres théories mettant en avant des groupes minoritaires. Le racisme systémique dont il est question aujourd’hui, ce fut pourtant aussi une idée française déjà contenue dans le « sociocentrisme négatif » propagé dans les années 1980. Si nous avions lu et pris au sérieux à temps Paul Yonnet, nous aurions pu comprendre pourquoi la France était un bon client pour chevaucher la vague George Floyd. Nous aurions mieux compris pourquoi l’identité française, après le roman national, allait devenir la cible de ce « sociocentrisme négatif » et pourquoi la notion de « grand remplacement » de Renaud Camus allait rencontrer le succès qu’il connaît.

Derniers commentaires

28.11 | 10:40

À mon avis à la Doc de l'Ined sur le campus Condorcet ou à la BNF

27.11 | 23:14

Cette période de baisse étant due à la crise de 1929 (avec des effets sur l'emploi à partir de 1932) et à la 2e guerre mondiale.

27.11 | 23:13

Selon l'INSEE, la part des immigrés et des enfants d'immigrés augmente en France depuis 1911 (2,7%) jusqu'en 2021 (10,6%).
La seule période de baisse a été de 1931 à 1946.

27.11 | 22:57

Bonsoir

Où peut-on lire l'étude sur Crulai?

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