Démographe
DONNÉES DU MINISTÈRE DE L’INTÉRIEUR SUR L’IMMIGRATION en 2019 (12 JUIN 2020)
De l’art de rendre obscur au lieu d’éclairer !
16 Juin 2020
Comme annoncé, le ministère de l’Intérieur vient de mettre en ligne les chiffres provisoires sur les 1ers titres de séjour délivrés en 2019 : 274 676, soit 1900 de moins que l’estimation de janvier 2020, laquelle est probablement assez proche de ce que sera le chiffre définitif qui ne sera connu qu’en janvier 2021. Les flux pour études et motif familial sont pratiquement équivalents, soit environ 90 000 chacun. L’estimation de janvier avait un peu sous-estimé le flux familial et un peu surestimé le flux d’étudiants. Les titres délivrés à caractère humanitaire sont un peu moins nombreux qu’estimés (36 276, cf. http://www.micheletribalat.fr/444975424). Rien de bien neuf donc, par rapport à l’estimation de janvier.
Par contre, la présentation des données sur l’asile a complètement changé, si bien qu’il n’est pas possible de mettre à jour le tableau précédemment mis en ligne sur ce site (http://www.micheletribalat.fr/444975424). Une visite sur le site de l’Ofpra permet de glaner quelques informations dans le rapport annuel d’activité portant sur 2018 (https://www.ofpra.gouv.fr/fr/l-ofpra/nos-publications/rapports-d-activite), des estimations pour 2019 (https://www.ofpra.gouv.fr/fr/l-ofpra/actualites/les-premieres-donnees-de-l-asile) et de les comparer aux chiffres du ministère de l’Intérieur. Malheureusement le dernier bilan annuel de l’Ofpra mis en ligne date de 2018 et porte sur l’année… 2014[1]. Les données d’Eurostat, qui sont celles transmises par le département des statistiques, des études et de la documentation (DSED) du ministère de l’Intérieur, donnent également un point de comparaison.
Alors que le ministère de l’Intérieur a mis en œuvre un nouveau système d’information (SI‑asile) censé améliorer la production de données sur les demandeurs d’asile, il s’est limité à une application informatique qui ne traite qu’une partie de l’information, celle qui passe par les guichets uniques de demandes d’asile des services des préfectures et de l’OFII (dits GUDA) créés par la loi de novembre 2016, sans songer à englober les informations collectées par l’OPFRA afin d’unifier les système.
Le DSED considère que ce nouveau système d’information sur l’asile, expérimenté depuis quelques années et déployé dans les GUDA, est opérationnel et fiable, mais depuis 2018 seulement. Les GUDA orientent les demandeurs d’asile soit vers l’Ofpra, soit vers le ministère de l’Intérieur qui les place alors en procédure Dublin lorsque la demande relève d’un autre État. Lorsque la procédure de réadmission vers cet État échoue, par exemple en raison du dépassement du délai pour effectuer le transfert, c’est vers l’Ofpra que sont redirigées ces demandes dont la procédure de réadmission a été éteinte. Si les procédures Dublin ont été requalifiées dans l’année de la demande, elles ne figurent que dans les données sur les candidats orientés vers l’Ofpra. Ainsi, en 2019, alors que 45 097 demandeurs d’asile avaient été mis en procédure Dublin, 9 869 ont été redirigés vers l’Ofpra dans l’année. Le ministère de l’Intérieur présente donc les données tirées du SI-asile et celles résultant de l’exploitation des informations sur l’asile par l’Ofpra, dans un tableau plus que sommaire et difficile à déchiffrer (tableau ci-dessous) mis en ligne pour les deux années - 2018 et 2019[2] - considérées comme fiables par le DSED pour le SI-asile.
Le champ du SI-asile lié aux GUDA n’est pas exactement celui de l’Ofpra, une fois les procédures Dublin mises de coté. Certains étrangers orientés vers l’Ofpra après leur passage en GUDA ne poursuivent pas leur procédure à l’Ofpra, ce dont le ministère de l’Intérieur n’a apparemment pas connaissance. Par ailleurs, l’Ofpra et la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) instruisent des dossiers de demandeurs d’asile qui ne sont pas passés en GUDA (26 539 en 2019). C’est le cas des demandes formulées en rétention et des demandeurs d’asile réinstallés en France. Ainsi, pour le ministère de l’Intérieur, en 2019, 141 501 demandes d’asile (tous rangs) relevaient de l’Ofpra, quand ce dernier n’en a reçu au final que 132 826, soit 7 675 en moins. Cette différence reflète un éventuel décalage temporel entre le passage en GUDA et l’inscription à l’Ofpra et les renoncements à déposer une demande d’asile après le passage en GUDA qui font plus que compenser le nombre de demandeurs d’asile qui ne passent pas par les GUDA. On s’étonne que le ministère n’ait pas réussi à harmoniser tout cela, pour éviter de présenter deux chiffres différents provenant de deux systèmes d’enregistrement pour une même information.
Capture d'écran du tableau paru dans https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Info-ressources/Etudes-et-statistiques/Statistiques/Essentiel-de-l-immigration/Chiffres-cles
1 Statut de la procédure au 31/12, c’est-à-dire y compris les procédures admises en « réadmissions éteintes » (et réexamens) en cours d’année
2 Statut de la procédure au 31/12, c’est-à-dire non compris les procédures admises en « réadmissions éteintes » (et réexamens) en cours d’année
3 Nouvelle demande (Normale, Accélérée ou Dublin) d’un même demandeur d’asile (yc réouvertures de dossier)
4 « Réadmissions éteintes » des années antérieures (cf page 3), ainsi que réinstallés, et demandes d'asile en rétention
5 Décisions possibles: attribution de la protection, rejet ou clôture du dossier
Extrayons de ce tableau les informations sur les 1ères demandes d’asile qui nous intéressent (tableau ci-dessous).
Le nombre de premières demandes d’asile en 2019, tel qu’on pouvait l'établir en janvier, était de 143 030, adultes et mineurs compris, qu’il s’agisse de demandes orientées vers l’OFPRA ou de celles mises en procédure Dublin, parce que relevant d’un autre État. Ces données avaient alors été déclarées définitives. Le nombre publié en juin est de 138 420, sans qu’on puisse faire une comparaison plus détaillée avec la publication de janvier, ni avec les années antérieures à 2018. Le nombre de 1ères demandes orientées vers l’Ofpra est voisin de celui publié en Janvier (105 904 contre 106 170). Par contre, celui des demandes mises en procédures Dublin est un peu moins élevé (35 228 contre 36860). Les majeurs sont moins nombreux qu’en janvier, alors que le nombre de mineurs est resté pratiquement le même. Le ménage a été fait aussi dans les chiffres, eux aussi en principe définitifs, de 2018, avec le même genre de décalage (moins d’adultes et plus de mineurs). Rien n’est dit sur les raisons de ces écarts, puisqu’on recommence à zéro !
Pourtant, la comparaison avec les données transmises à Eurostat pour les années 2018 et 2019 et avec celles publiées par l’Ofpra donne des écarts pas toujours faciles à expliquer. En 2019, comme en 2018, le nombre de demandes d’asile de majeurs à l’OFPRA est assez proche de l’ensemble des demandes du ressort de l’Ofpra d’après le DSED, mineurs compris ! En 2019, le nombre de mineurs décomptés par l’Ofpra est inférieur de 10 748 au nombre de mineurs passés par les Guda. S’agit-il de mineurs qui se sont égayés dans la nature ou qui ont été placés en procédure Dublin ? Par ailleurs, alors que l’ordre de grandeur du nombre de mineurs transmis à Eurostat est proche de celui du ministère de l’Intérieur en 2018, ce n’est plus le cas en 2019, sans que je sache expliquer pourquoi.
La hausse des 1ères demandes d’asile semble, si l’on en croît les statistiques du ministère de l’Intérieur, s’opérer principalement par les mineurs, dont le nombre aurait augmenté de près d’un tiers en 2019. Si l’on prend les données de l’Ofpra, c’est l’inverse : le nombre de demandes de majeurs aurait augmenté de 10 %, quand le nombre de mineurs diminuait de 4 % !
Les demandeurs d’asile mis en procédures Dublin qui, en fait, ne relèvent pas d’un examen par la France et seront redirigés, lorsque c’est possible, vers d’autres pays, ne sont pas du ressort de l’État français. Il pourrait donc paraître plus judicieux de n’ajouter aux demandes d’asile dirigées sur l’Ofpra, que les demandes qui « nous restent sur les bras ». Mais, la réussite des transferts étant faible, peut-être est-il effectivement plus judicieux de compter, comme le fait le ministère de l’Intérieur, les demandeurs mis en procédure Dublin parmi les primo-demandeurs d’asile, donc au plus près de la demande dont la France finira par devoir traiter le dossier.
Au total, le ministère de l’Intérieur, qui exerce la tutelle administrative et financière de l’Ofpra, n’a pas été capable d’élaborer un outil statistique qui intègre pleinement l’activité de l’Ofpra, laquelle ne correspond pas strictement à l’examen des dossiers des demandeurs d’asile orientés vers l’Ofpra par les GUDA. Le SI-asile, censé améliorer la production statistique sur les demandeurs d’asile, a été conçu en silo, à partir de l’activité des guichets uniques des demandes d’asile, et non pour couvrir exhaustivement les demandes d’asile. D’ailleurs, si l’on a des informations sur les décisions de l’Ofpra, on ne sait rien des décisions prises par le ministère de l’Intérieur.
Il est désolant de voir qu’une occasion a encore été manquée de concevoir un système d’information statistique unifié qui ne visait pourtant que l’information sur les demandeurs d’asile.
[1] À mon grand étonnement d’ailleurs, le taux de protection y était calculé en rapportant les décisions positives aux demandes d’asile de l’année. Ce genre d’indice n’a pourtant de sens que calculé par année de dépôt de la demande d’asile. L’Ofpra a changé son fusil d’épaule puisque, dans son rapport d’activité, en tout cas dans le dernier, celui de 2018, il rapporte les décisions positives à l’ensemble des décisions de l’année.
[2] On remarquera que l’ensemble des demandes d’asile, comptant des demandes formulées dans les années antérieures, mises en procédure Dublin sans que la réadmission dans un autre pays n’ait abouti, et des réexamens de demandes formulées antérieurement, correspond sans doute aux 170 000 demandes d’asile annoncées par François Héran dans son calcul de coin de table des entrées d’immigrants (http://www.micheletribalat.fr/446281896). Il a eu la chance d’être informé avant toute publication, mais le tort de prétendre faire des calculs sans doubles comptes. Par ailleurs, on ne peut ajouter aux 1ers titres de séjour délivrés une année donnée les demandes d’asile de cette même année, y compris en se limitant aux 1ères demandes d’asile, car certains de ces demandeurs, qui ont obtenu un titre de séjour, sont d’ores et déjà comptés et, s’ils ne le sont pas, une partie d’entre eux le sera dans les années qui suivent au titre de l’asile, de la protection subsidiaire ou à un autre titre.