COMPTAGE DOUTEUX : ANALYSE DU BILAN DES MORTS DU MINISTERE DE LA SANTE DIRIGÉ PAR LE HAMAS À GAZA[1]

 

Andrew Fox, The Henry Jackson Society, 2024[2]

6 janvier 2025

 

Le travail conduit par le Centre For Middle East de la Henry Jackson Society porte à la fois sur les rapports du ministère de la Santé du Hamas (MdS) sur les morts à Gaza[3] et sur la manière dont les grands organes de presse anglophones ont traité l’information à travers l’examen de 1378 articles émanant notamment du New York Times, du Washington Post, du Guardian, de CNN, de la BBC, de Reuter, de l’Associated Press et de la chaine australienne ABC. Ce double examen est apparu nécessaire en raison de doutes raisonnables sur la qualité de l’information produite par le MdS du Hamas et de la partialité des reportages de presse qui ont fait confiance, le plus souvent aveuglément, aux chiffres fournis par le Hamas. On s’étonne que ce rapport n’ait pas reçu un large écho, compte tenu des implications géopolitiques que cette confiance aveugle des médias dans le chiffrage trafiqué du Hamas a engendré, notamment les accusations de génocide à l’encontre d’Israël.

 

Sources et méthodologie du comptage des victimes de guerre du Hamas


Les données, rassemblées par le Centre d’information sur la santé, sont publiées dans des rapports réguliers du MdS sur les personnes dites « assassinées par l’IDF » (forces de défense israéliennes) sans référence à l’identité des décédés. Dans les trois premiers mois de 2024, les enregistrements de décès dans les hôpitaux sont restés proches des déclarations de décès ou de proches disparus par les familles. Ce n’est plus le cas à partir d’avril 2024. Les exigences ont été abaissées. Avant, le Bureau des médias du gouvernement disait « accepter les sources d’information fiables » pour, en avril, prendre en compte aussi les « enregistrements avec des données incomplètes ». Cette « innovation » a eu pour effet d’augmenter le nombre de décès de mineurs supposément déclarés par les hôpitaux.  


On peut distinguer trois sources :

1) les enregistrements par le personnel médical des hôpitaux ;

2) des sources inconnues telles que les médias et les réseaux sociaux ;

3) des communications publiques d’informations ou des déclarations des familles.


Depuis le 27 octobre 2023, le Hamas publie aussi des listes de « Martyrs à ce jour » comprenant l’identité, l’âge, le sexe et le numéro d’identification tiré du registre de population contenant l’identification de toutes les personnes nées à Gaza. Mais, avec l’offensive terrestre d’Israël, la connexion au registre a été coupée en novembre et l’identité des morts a été remplie à la main, à l’origine de nombreuses erreurs. Le lien avec le registre de population fut restauré en février 2024, offrant une opportunité de corriger les listes. Si la liste publiée en août semblait de meilleure qualité, le processus de fabrication des listes a montré que, lorsqu’une date de naissance manquait, le décédé était déclaré mineur.

Le 11 décembre 2023, le MdS a déclaré que, depuis le 11 novembre 2023, les informations sur les morts dans le nord de Gaza n’étaient plus collectées par le système d’information des hôpitaux mais par des « sources médiatiques fiables », principalement des sites d’information et des reportages télévisés. Pourtant, lors d’un entretien avec Sky News, le directeur du Centre d’information du MdS a soutenu qu’il s’agissait de sources fiables qui n’avaient rien à voir avec les médias : « Nous ne dépendons d'aucune source de presse pour obtenir des données - c'est la politique du ministère de la santé. » D’où des déclarations contradictoires entre le responsable de la communication du gouvernement et celles du MdS. Ainsi, le 23 mars 2024, le premier parla des « martyrs arrivant à l’hôpital » quand le MdS déclarait que 45 % des morts listés provenaient de sources médiatiques.

Le 6 janvier 2024, le MdS mit en ligne un formulaire, appelant à signaler les « martyrs » ou les personnes portées disparues. Ce formulaire fut mis à jour régulièrement. Mais le recours à cette source ne fut pas mentionné dans les rapports avant celui du 1er avril. Ce formulaire ne permet pas de savoir s’il s’agit d’un civil ou d’un militant du Hamas, du Jihad islamique ou tout autre groupe armé, ni les circonstances du décès (IDF ou autre). Il ne demande aucune preuve du décès ainsi déclaré.

En dépit des déclarations du MdS sur la fiabilité des listes de « martyrs », qui ne comprendraient que les décès sur lesquels il dispose d’une information complète, aucune de ces listes ne comporte la date du décès.

 

Incohérences sur les décompositions démographiques

 

Les informations sur le sexe et l’âge des morts proviennent des listes nominatives. La comparaison entre les informations du registre de population et celles figurant dans les listes a révélé des anomalies, sur l’âge, rajeuni, et sur le sexe, avec des hommes qui deviennent des femmes dans les listes. Ces « erreurs » gonflent artificiellement le nombre de femmes et d’enfants supposés tués par l’IDF.

La liste de septembre 2024 contient 34 344 noms et l’on connaît, pour chacun d’eux le mode de collecte : MdS (80 %) ; familles (16 %) ; déclarations approuvées par le « comité judiciaire » (3 %) ; « House committee », dont l’auteur n’a pas réussi à savoir de quoi il s’agissait (moins de 1 %). Les caractéristiques démographiques diffèrent selon que le décès a été répertorié par le MdS ou par la famille : 42 % d’hommes contre 62 %. Les listes du premier trimestre ne montraient pas de tels écarts, la proportion d’hommes étant pratiquement identique (autour de 60 %). Les différences ne tiennent donc pas à un biais systématique lié au type de déclarant. De même, la proportion de mineurs était de 35 % pour le MdS et de 22 % d’après les déclarations des familles.

En avril, les données du MdS ont subi des ajustements à l’origine de ces divergences alors que la composition démographique des décès signalés par les familles est restée à peu près la même. Un examen des déclarations des familles depuis janvier 2024 (date de leur prise en compte) indique la structure démographique moyenne suivante : 60 % d’hommes, 16 % de femmes et 24 % d’enfants.

Déjà, d’octobre à décembre 2023, les rapports du MdS indiquaient une évolution peu crédible. Ainsi, entre le 18 octobre et le 23 octobre, la proportion d’enfants morts serait passée de 24,5 % à 40 %. Entre le 23 octobre et le 5 décembre, elle aurait continué d’augmenter pour atteindre 43,8 %. De même, la proportion de femmes serait passée, sur la même période, de 22 % à 30 %. Ces « tripatouillages » ont abouti à une proportion de femmes et d’enfants proche de 74 % le 5 décembre 2023, semblant indiquer que l’IDF aurait cherché à tuer des civils plutôt que des combattants ! Pourtant des soldats israéliens ont bien été tués ou blessés (respectivement 368 et 1394 au 27 octobre 2024) probablement pas lors d’attaques menées par des femmes et des enfants.

 

Ce que montrent les listes du MdS contredit les gros titres de ses rapports


La pyramide des âges des décès et les taux de mortalité par âge obtenus à partir des données contenues dans les listes conduisent à des conclusions bien différentes de celles mises en avant dans les rapports du MdS.  La mortalité des hommes est très supérieure à celle des femmes avec, très logiquement un pic chez les hommes entre 15 et 40 ans. Celle des enfants est très en dessous de la mortalité de tous les autres groupes d’âges.

 

Une démographie des décès déclarés par les familles très différente


La répartition des décès par sexe et âge dans les déclarations familiales indique une moindre présence de femmes et d’enfants, mais un pic des décès d’hommes beaucoup plus marqué aux âges de combat entre 25 et 40 ans (cf. capture d’écran de la figure 9 p. 23). Au final, la composition démographique des décès déclarés par les familles apparaît plus fiable que celle ressortant des déclarations des hôpitaux.























Note : j’ai superposé une courbe mauve sur les décès de femmes enregistrés dans les hôpitaux à ce qui était une courbe blanche difficilement visible sauf à la regarder de biais, debout !


Des âges trafiqués


Si des adultes ont été enregistrés à tort comme enfants, l’auteur a constaté des pratiques d’abaissement de l’âge d’un an sur de nombreux cas, d’une liste à une autre plus tardive. Par exemple, sur la liste de février 2024, on comptait 265 noms de personnes âgées de 18 ans dont un peu plus de la moitié se sont retrouvés avoir 17 ans au mois d’août. Les médias qui ont donné crédit aux données du Hamas n’ont pas cherché à vérifier leur cohérence d’une liste à l’autre. Ces pratiques d’abaissement des âges, gonflant le nombre de mineurs tués, aurait pourtant pu les alerter sur le manque de fiabilité des statistiques propagées par le Hamas.

 

Les morts provoquées par les actions du Hamas imputées à l’IDF


Sont reportées comme tués par l’IDF des Gazaouis tués par le Hamas. On a ainsi retrouvé un jeune garçon de 13 ans sur la « liste des martyrs » alors que sa mort avait été annoncée sur internet (supprimée ensuite). Il avait été tué alors qu’il tentait d’obtenir de la nourriture lors d’un arrivage d’aide humanitaire le 24 décembre 2023. Par ailleurs, de nombreuses roquettes tirées sur Israël ont atterri à Gaza tuant des Gazaouis, comme ce fut le cas avec l’hôpital Al-Ahli le 13 octobre 2023.

 

Ne mourrait-on plus de mort naturelle à Gaza ?


Le MdS n’a publié aucune donnée sur les morts naturelles qui étaient de l’ordre de 5000 en 2019 (avant le Covid-19) d’après le Bureau central de statistiques palestinien. Mais il existe des preuves de l’inclusion, au moins de certains de ces décès, dans les listes publiées par le MdS. L’auteur a aussi retrouvé dans les listes de patients soignés pour un cancer des 15, 17 et 21 avril, trois individus déclarés morts (par anticipation !) sur la liste de mars.

 

De nombreux combattants gazaouis tués par l’IDF


 Comme toutes les armées, l’IDF porte son attention sur l’identification des combattants ennemis éliminés et non sur celle des civils tués lors de ses opérations militaires. En octobre 2024, elle estimait le nombre de combattants tués entre 17 000 et 20 000 d’après les rapports de terrain et diverses sources de renseignements, sur une force combattante estimée à plus de 40 000. 10 000 victimes ont été identifiées par leur nom. Le taux de mortalité parmi les combattants du Hamas et du Jihad islamique estimé par l’IDF, d’au moins 40 %, est cohérent avec les chiffres rapportés par l’Institut américain pour l’étude de la guerre et les Nations unies. Le Hamas lui-même a reconnu des pertes importantes. L’IDF a révélé dans le Times of Israël une lettre de Rafa’a Salameh, commandant de la brigade de Khan Younès, dans laquelle il reconnaissait un taux de mortalité de 50 %.

 

Les tripatouillages statistiques du Hamas ne sont pas nouveaux


Les pratiques statistiques douteuses du Hamas ont déjà été repérées lors des conflits précédents. Ainsi, à la fin de l’« Opération plomb durci » de 2008-2009, le Hamas annonça la mort de 1300 Gazaouis dont seulement 48 combattants ! Les investigations de l’IDF conduisirent à l’identification, d’après le registre de population, de 709 combattants sur un total de 1166 décès. En novembre 2009, le Hamas finit par reconnaître la perte de 600 à 700 combattants. Révision qui fut ignorée par les médias anglophones. Lors du conflit de 2014, le Hamas diffusa le 11 juillet 2014, sur les réseaux sociaux, les consignes à respecter par les Gazaouis actifs sur ces réseaux visant à dissimuler le statut de combattant des individus tués, à ne pas diffuser leur nom ni les féliciter.

 

Une presse anglophone peu regardante sur la fiabilité des « statistiques » du Hamas


Les 1378 articles de presse examinés révèlent une préoccupation quasi-exclusive pour les civils tués lors des affrontements, prenant pour argent comptant les déclarations du MdS, sans s’intéresser vraiment aux sources israéliennes. Par exemple, lors d’une émission sur CBS en juin 2024, vue par six millions d’internautes sur YouTube, le commandant Harrison Mann, démissionnaire après 13 ans de service pour protester contre le soutien américain à Israël, déclara à Jim Axelrod : « Je ne sais pas comment on peut tuer 35 000 civils par accident ». Fareed Zakaria faisait la même faute sur CNN en avril en présentant le nombre total de morts comme étant cellui de civils. Ce type d’erreur est facilité par la reprise des chiffres du Hamas par les organisations internationales qui n’y voient bien souvent que des morts de civils.

L’étude statistique des 1378 articles a été conduite par le groupe de recherche Fifty.Global avec le soutien de l’International Institute for Social and Legal Studies en suivant des procédures rigoureuses de codage, de vérification et de prévention des biais.


Les principales conclusions de cette analyse d’articles de presse sont édifiantes :


  • 3 % seulement ont inclus les morts de combattants ;
  • Seulement 16 % indiquent que le Hamas ne distingue pas les civils des combattants, renforçant ainsi l’idée de l’usage d’une force disproportionnée ;
  • 98 % des publications retenues ont repris les chiffres du Hamas quand 5 % ont (aussi) cité ceux d’Israël ;
  • 19 % ont utilisé les chiffres du Hamas sans citer la source, suggérant ainsi qu’ils étaient indiscutables ;
  • Seulement à peine 2 % des publications ont reconnu que les chiffres du Hamas étaient invérifiables et controversés ;
  • Par contre, les rares publications qui faisaient référence aux statistiques israéliennes ont contesté, dans la moitié des cas, leur crédibilité.

 

Le travail d’un journaliste ne devrait pas se résumer à communiquer des chiffres sur lesquels il ne s’est posé la moindre question ni n’a fait la moindre recherche de fiabilité. Surtout lorsqu’ils proviennent d’une organisation reconnue comme terroriste notamment par l’UE, les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada et l’Australie et qui a, par le passé, manipulé les statistiques lors de ses conflits avec Israël. La répétition de chiffres trafiqués entretient une représentation faussée du conflit, exalte une opinion publique occidentale éprise de la cause gazaouie, alimente un antisémitisme délirant et a participé à nourrir l’accusation de génocide contre Israël. Les médias, en ne faisant pas leur travail, ont leur part de responsabilité.


[1] Questionnable counting: analysing the death toll from the Hamas-run Ministry of Health in Gaza,

https://henryjacksonsociety.org/publications/questionable-counting/.

2] Andrew Fox est chercheur associé à la Henry Jackson Society (HJS). Il a servi dans un régiment de parachutistes de l’armée britannique pendant 16 ans qu’il a quitté avec le grade de commandant. II a été dans les forces spéciales américaines en Afghanistan, a servi en Bosnie, en Irlande du Nord et au Moyen-Orient. Il a enseigné dans les départements d'études sur la guerre et de sciences du comportement de la Royal Military Academy Sandhurst. Il s’est rendu deux fois à Gaza et dans les tunnels du Hezbollah.

Ce rapport est le résultat d’un travail collectif d’examen des données du ministère de la santé (MdS) dirigé par le Hamas et de la contribution d’experts et scientifiques internationaux.

[3] Et plus particulièrement sur ceux de février 2024 à mai 2024.