Démographe
THE AFFIRMATIVE ACTION MYTH
Why Blacks Don’t Need Racial Preferences to Succeed
Jason L. Riley, Basic Books, 2025, 288 p.
12 juin 2025
Après que neufs États ont prohibé l’Affirmative Action (discrimination positive), l’arrêt de la Cour Suprême de 2023 – Students for fair admission v. Harvard (SFFA)– l’interdit à son tour dans le pays tout entier. Les termes du président de la Cour ne pouvaient être plus clairs : « éliminer la discrimination raciale c’est l’éliminer entièrement ». Cette décision, si elle a déplu aux élites progressistes, s’accorde avec l’opinion publique, Noirs compris, pourvu qu’on lui formule explicitement en quoi elle consiste au lieu de s’en tenir à l’expression « Affirmative Action ». En effet son sens a évolué au fil du temps depuis la mobilisation pour les droits civiques. Assimilée alors à une indifférence à la race, elle a évolué vers une exigence numérique dans les années 1970. Le livre de Jason J. Riley se focalise sur la version actuelle de la discrimination positive, pervertie et très éloignée de son sens initial. Il cherche à répondre aux questions suivantes : Dans quelle mesure les différences de résultats sont principalement dues à un racisme récurrent comme il est soutenu aujourd’hui ? D’autres facteurs ont-ils été sciemment oubliés ?
Une politique active de responsabilisation
Après Thomas Sowell, Shelby Steele et d’autres, Jason Riley rappelle les progrès prodigieux des Noirs réalisés avant même que l’on évoque la discrimination positive. Un indicateur parlant est le taux de pauvreté des Noirs qui passa de 87 % en 1940 à 47 % en 1960. Des Noirs ont magnifiquement réussi avant même la loi sur les droits civiques. Trois femmes noires furent ainsi des scientifiques qui participèrent au programme d’exploration spatiale de la Nasa. Pour les leaders noirs des premières décennies du 20ème siècle, les Noirs devaient chercher à améliorer leur situation grâce à l'éducation et un travail acharné en adoptant les normes de la classe moyenne. Des publications et les organisations des droits civiques expliquaient ce qu’il fallait faire et ne pas faire. Lors de l’afflux de Noirs du Sud vers le Nord, ces derniers, instruits par ceux qui étaient déjà là, furent incités à adopter une politique de respectabilité : insistance sur la morale, les manières, le vêtement, tout en poursuivant des actions pour plus de justice. Cette manière de voir était aussi celle de Martin Luther King. Après la conquête de droits civiques, cette politique de la respectabilité tomba en disgrâce auprès des jeunes Noirs, toute responsabilité revenant aux Blancs. Ceux qui poursuivirent cette politique furent accusés d’agir comme des Blancs. Ce qui fut un facteur d’estime de soi était désormais perçu comme une trahison. Pourtant, comme l’écrit l’auteur « conditionner la réussite des Noirs à la disparition du racisme et des préjugés, c’est la faire dépendre de quelque chose que l’humanité n’a jamais accompli, tout en laissant dans l’oubli tous ces groupes minoritaires qui ont réussi malgré ces obstacles ». Les militants noirs minimisèrent l’importance de la famille traditionnelle et l’évolution de l’opinion des Blancs. De 1944 à 1963, la proportion de Blancs qui pensent que les Noirs doivent avoir la même chance d’obtenir un emploi que les Blancs était déjà passée de 42 % à un peu plus de 80 %.
Une lente évolution vers une politique d’égalité de résultats
La pression contre une politique discriminatoire, qui commença à faire sentir ses effets sous Roosevelt, fut poursuivie par ses successeurs, à travers des décrets, en raison d’une opposition du Congrès sur le sujet. Cette politique fut également contestée devant la justice jusqu’à l’arrêt Brown de 1954 qui mit fin à la ségrégation scolaire. Le président de la Cour suprême évita d’attaquer de front l’arrêt Plessy sur la ségrégation de 1896, pour invoquer l’estime de soi des Noirs considérés comme des êtres inférieurs. Il lui fallait ménager les juges du Sud pour parvenir à un verdict unanime et éviter les blocages. Mais blocages il y eut et, en 1964, dix ans après l’arrêt Brown, seulement 3 % des Noirs du Sud fréquentaient des classes où il y avait aussi des Blancs. En nombres absolus, il y avait plus de Noirs qui fréquentaient des écoles ségréguées en 1964 qu’en 1954. Pour accélérer la déségrégation et l’étendre à l’emploi et au logement, le Congrès vota la loi sur les droits civiques, après avoir reçu des assurances qu’elle ne conduirait jamais à un équilibre racial mais à un traitement égalitaire. Seule la discrimination intentionnelle était visée.
Mais, malgré une opinion publique défavorable à un traitement différentiel (62 % à 72 % selon les années dans les quinze enquêtes du Pew Research Center de 1987 à 2012), les bonnes intentions de départ furent perverties par des initiatives administratives et judiciaires. L’Office of Education se mit à produire des directives, intégrées ensuite par le pouvoir judiciaire. L’arrêt Green de 1968 de la Cour suprême fait de l’élimination d’un système scolaire dual une obligation positive, recourant pour la 1ère fois aux statistiques. De même, l’EEOC (Equal Employment Opportunity Commission), pourtant créée en 1964, révisa les normes légales et introduisit le concept de « disparate impact » (impact disproportionné) en fondant son évaluation des entreprises sur des données statistiques du bassin d’emploi. En 1978, si l’arrêt Bakke jugea les quotas à l’admission à l’Université inconstitutionnels, il admit que la race pouvait être prise en compte si c’était pour promouvoir la diversité des étudiants. Une discrimination positive pouvait ainsi trouver sa voie légale, même si elle était contraire à la formulation du titre VII de la loi de 1964.
La question des réparations
C’est un serpent de mer qui n’a guère convaincu les dirigeants politiques, mêmes démocrates. Barack Obama y était opposé comme Hillary Clinton et Bernie Sanders avant lui. Si la question fut soulevée par James Forman dans son « Black Manifesto » publié en 1969, elle réapparut en 1988 lors du vote au Congrès d’une loi dédommageant les Japonais retenus dans les camps d’internement pendant la guerre ou les membres de leur famille. Le projet 1619 de Nikole Hannah-Jones a relancé la question en soutenant que la nation avait été fondée sur une « esclavocratie » qui serait à l’origine de la puissance économique et industrielle des États-Unis. L’esclavage expliquerait encore aujourd’hui les écarts de revenus, de santé et d’éducation. L’esclavage ayant d’abord été pratiqué dans l’entre-soi racial, « faire du racisme la force motrice de l’esclavage, c’est faire d’un facteur historiquement récent la cause d’une institution qui a vu le jour des milliers d’années plus tôt » écrit Thomas Sowell. L’exigence de réparations est fondée idéologiquement sur une lecture ahistorique du passé. L’idée d’un trauma héréditaire n’a pas plus de sens qu’une culpabilité héréditaire. Le recul de la condition des Noirs (criminalité, dépendance aux aides sociales et taux d’emploi) date des années post-1960s, suggérant que d’autres facteurs sont en jeu.
L’histoire d’une réussite avant la discrimination positive
50 ans de discrimination positive ont donné la fausse impression que les progrès des Noirs dépendent des politiques préférentielles. Pourtant, les Noirs ont connu des progrès significatifs sans elles. Dès avant la fin de l’esclavage. En 1850, 434 000 Noirs libres avaient été recensés. 59 % d’entre eux savaient lire et écrire et avaient appris dans des écoles privées dont certaines étaient clandestines. Ces écoles privées jouèrent un rôle essentiel dans la scolarisation des Noirs jusqu’au 20ème siècle. Il faudra attendre 1916 pour que le nombre de Noirs fréquentant une école publique égale celui des Noirs en école privée. Une agence fédérale, le Bureau des réfugiés, des affranchis et des terres abandonnées, fondée en 1865, fut à l’origine de la création de 4000 écoles d’ici la fin de 1866. Dix ans plus tard, la moitié des enfants blancs et 40 % des enfants noirs étaient scolarisés. Mais, après le départ des troupes fédérales en 1877, la suprématie blanche reprit dans le Sud avec menaces sur les professeurs, meurtres et lynchages. Malgré cet environnement hostile, mais aussi grâce à l’aide de philanthropes tel que Julius Rosenwald qui contribua à la création de près de 5 000 écoles privées d’une capacité de 600 000 élèves, l’alphabétisation progressa fortement. Comme l’écrit l’auteur, le besoin le plus pressant des Noirs n’était pas d’avoir des camarades de classe blancs mais des écoles de qualité. En 1940, dans le Nord, les Blancs âgés de 25-29 ans avaient 3,6 ans de scolarité en plus que les Noirs. En 1960, 1,7 seulement. Des progrès furent aussi accomplis dans le Sud où l’oppression raciale était plus forte. C’est la mise en place des politiques préférentielles qui freina le mouvement de convergence observé depuis près d’un siècle. Ce fut la même chose en matière de revenus. Le taux de pauvreté des Noirs ne baissa que de 10 points dans les années 1960 et de 1 point dans les années 1970-1980, les deux premières décennies de la discrimination positive. L’écart Noirs/Blancs en matière de revenus est en 2018, pratiquement le même qu’en 1968. Pour continuer de croire au rôle positif des politiques préférentielles dans l’avancement des Noirs, on est prêt à ignorer ce qu’ils ont accompli sans elles. Dans les années récentes, l’essentialisme racial a progressé grâce aux avocats de la justice sociale.
Discrimination positive : l’histoire d’une régression
La discrimination positive a jeté la suspicion sur les compétences des Noirs, , toujours suspectés d’avoir été recrutés parce que Noirs, et délégitimé leur réussite académique. Ce fut le cas de Clarence Thomas diplômé de Yale en 1974, juge à la Cour suprême depuis 1991 qui fut qualifié d’hypocrite en raison de son opposition aux politiques préférentielles. Ces politiques ont eu des conséquences psychologiques sur la manière dont les Noirs sont vus et se perçoivent eux-mêmes. Pourquoi travailler avec acharnement à l’école si les exigences sont abaissées ? Pourquoi exiger autant des Noirs que des Blancs si des performances moindres leur donnent accès à l’Université ?
En 2013, le recours SFFA demandait seulement des explications sur la sous-admission des étudiants asiatiques à Harvard[1] : combien d’Asiatiques avaient postulé ? Quels étaient leur score aux tests SAT (Scholastic Assessment Test) et les informations entrant dans leur évaluation, comparés à ceux des autres admis ? Les Universités ont tout fait pour dissimuler leurs pratiques[2]. Un exemple ancien fut fourni par Thimoty Maguire, étudiant en droit à Georgetown. En travaillant au service des archives, il découvrit que les Noirs étaient admis avec des résultats aux tests LSAT (Law Scholastic Assessment Test) moins bons en moyenne que ceux des Blancs. Lorsqu’il publia ses résultats dans le journal étudiant, le doyen nia la véracité de son constat et ordonna la confiscation de tous les exemplaires. S’il ne fut pas expulsé, c’est grâce à l’intervention de son avocat. La politique universitaire de la diversité reposait donc sur la suppression de toute critique, à Georgetown comme ailleurs.
Pourtant, ces tests d’entrée à l’université utilisés depuis des décennies sont fortement corrélés aux performances futures à l’université et dans l’emploi. Plus récemment, lors de l’affaire George Floyd, ces tests furent déclarés racistes. Pour preuve, la meilleure réussite des Blancs. Mais alors comment expliquer que les Asiatiques font mieux qu’eux ? On invoqua aussi les biais liés à la classe sociale alors même que les Asiatiques de familles à bas revenus les réussissent mieux que les Blancs à haut revenu. Pour le psychologue social, Claude Steele, les scores d’entrée des Noirs en primaire étant très proches de ceux des Blancs, c’est après que les choses se dégradent, ce qui se retrouve au lycée et à l’entrée à l’Université. Le but devrait donc être d’améliorer les performances de ces enfants au primaire au lieu de chercher à bannir les tests ou de les admettre plus tard dans des universités d’élite où ils échouent en nombre, privant ainsi les universités moins cotées d’étudiants noirs ayant le niveau (effet mismatch, voir l’étude de Richard Sander et Stuart Taylor[3]). Les Noirs qui n’abandonnent pas leurs études sont souvent obligés de se rabattre sur une spécialité moins difficile en cours d’études alors qu’ils auraient pu se maintenir dans une université moins prestigieuse. Les doyens des facultés d’élite restent très taiseux sur le sujet. Ils veulent bien faire valoir leur performance en termes de diversité à l’admission, mais sans divulguer ce qui arrive ensuite aux étudiants ayant bénéficié de leur politique préférentielle. On se retrouve avec des militants de la justice sociale qui pleurent la pénurie d’ingénieurs, d'informaticiens et d'économistes noirs à laquelle la discrimination positive qu’ils promeuvent a contribué. Si les étudiants noirs de la George Mason University’ Law School, qui utilise les préférences raciales, ont de meilleurs scores aux tests que ceux de de l’université historiquement noire Howard University School of Law, seulement 30 % des 1ers sortent diplômés avec l’examen du barreau du 1ercoup, contre 57 % des seconds. Les universités d’élite (une centaine) produisent seulement 4 % des Noirs diplômés du 1ercycle. De 2009 à 2019 deux universités de médecine historiquement noires ont diplômé plus d’étudiants noirs que celles principalement blanches. Après l’adoption de la proposition 2009 en Californie en 1996, les Noirs ont été moins nombreux dans les universités d’élite mais ont mieux réussi dans celles qui correspondaient mieux à leur niveau, y compris dans les disciplines les plus difficiles. Démonstration in vivo des effets néfastes d’une politique censée leur bénéficier.
Les « vérités poétiques » contre le réel
Shelby Steele parle de « vérités poétiques » à propos de la discrimination positive. Ceux qui la défendent savent qu’ils mentent mais arrivent à se persuader qu’ils agissent pour le bien commun et se déguisent ainsi en défenseurs de la justice sociale. Reconnaître les progrès accomplis sur la question raciale reviendrait à délégitimer les efforts déployés pour encourager la colère des Noirs, à la base de la stratégie électorale des Démocrates, explique Jason Riley. Cela obligerait à reconnaître que la discrimination positive a été une politique nuisible à la cause des Noirs. Elle a rendu aveugle sur la régression qui a accompagné sa mise en place en même temps qu’une forte extension de l’État-providence qui a miné l’autonomie et la cellule familiale. Les Noirs d’aujourd’hui qui défendent normes et décence qui ont réussi aux Noirs jusqu’aux années 1960 passent pour des traitres. Trop d’intellectuels et leaders noirs prétendent qu’il faut d’abord en finir avec le racisme avant de tenir compte de la responsabilité individuelle. De jeunes hommes noirs voient dans leurs comportements destructeurs un signe d’authenticité. Les élites noires ont intellectualisé leurs pratiques antisociales en prétendant qu’elles étaient normales, qu’il ne fallait pas les juger, ignorant ainsi les études qui montraient qu’elles empêchaient l’amélioration de la condition des Noirs. Il faut dire que la réception au vitriol du rapport de Daniel Patrick Moynihan sur les conséquences sociales des familles noires sans père en 1965 en a découragé plus d’un de se lancer dans l’étude de l’effet des comportements des Noirs sur les inégalités. S’en tenir au racisme comme cause fondamentale était plus sûr. Avec l’hégémonie DEI (diversité, équité, inclusion) des années récentes dans le parti démocrate mais aussi dans les principaux médias et les universités, la cause des Noirs est mal partie. Tout est encore la faute des Blancs. Comme la discrimination positive, le catéchisme DEI sape le développement de comportements nécessaires à l’amélioration de la condition des Noirs et remplit leur cerveau de mensonges qui entravent leur réussite. Si l’on peut célébrer la fin de la discrimination positive, peut-être en vue grâce à l’arrêt de la Cour Suprême de 2023, la relève DEI a de quoi inquiéter ceux qui ont à cœur d’améliorer l’avenir des Noirs défavorisés aux États-Unis.
[1]https://www.micheletribalat.fr/politiques-pr-f-rentielles/les-am-ricains-et-la-m-ritocratie
[2]https://www.micheletribalat.fr/politiques-pr-f-rentielles/434797230?t=1749551511128
[3]Il existe bien une base de données statistique créée par la Mellon Foundation en 1990, mais elle n’est accessible qu’aux chercheurs non critiques à l’égard de la discrimination positive. https://www.micheletribalat.fr/politiques-pr-f-rentielles/434797230?t=1749551511128